Une veuve romaine
portier commit une première erreur en me laissant entrer. Puis une deuxième en allant prévenir son maître qu’un visiteur le demandait, sans se rendre compte que ledit visiteur lui avait emboîté le pas.
— Merci, dis-je au portier, en l’écartant de mon chemin. Tu n’as pas besoin de nous présenter : Appius Priscillus et moi sommes de vieux amis.
La rancune que j’éprouvais à l’égard de Priscillus s’accrut considérablement dès que j’entrai dans la pièce.
Il s’agissait d’un vaste bureau jouissant d’une vue impressionnante sur Rome qui s’étalait tout là-bas, au-delà du Tibre. Entre les mains d’un décorateur compétent, l’effet aurait pu être spectaculaire. Priscillus avait probablement acheté la maison pour sa situation géographique, mais n’avait pas su en tirer parti. Il n’y avait pratiquement aucun meuble. La lumière du jour, qui entrait à flots, n’éclairait que de lourds coffres solidement cadenassés. La peinture était si mal faite qu’elle gâchait tout ce qu’il restait à gâcher. Il devrait exister des lois pour empêcher les gens de saboter des endroits aussi magnifiques. L’emplacement idéal de la demeure la rendait beaucoup plus plaisante que celle qu’il possédait sur l’Esquilin, mais une telle négligence créait un sentiment de malaise.
— Les carottes sont cuites, Priscillus. Dépêche-toi de quitter Rome !
Il avait toujours la même face de rat et, selon toute apparence, la même tunique usée.
— Arrête de me faire perdre mon temps, Falco, siffla-t-il d’une voix venimeuse.
— J’en ai autant à ton service. Je viens te demander des comptes pour le meurtre de Novus.
— Tu ne sais pas de quoi tu parles, Falco !
— C’est ce que tu crois ! Aurais-tu déjà oublié le cadeau que tu as apporté au banquet ? Cet excellent Falernian ?
— Il n’y avait rien à reprocher à ce Falernian, déclara Priscillus, un peu trop sûr de lui.
— Je suis d’accord avec toi, je l’ai goûté, admis-je en souriant. Peut-être un connaisseur lui aurait-il reproché d’être trop chambré – il est resté longtemps à attendre dans la salle à manger. Mais j’ai rarement bu un vin aussi délicieux, je l’admets. C’était néanmoins une bonne idée de le boire sans y ajouter d’épices, tu n’es pas de mon avis ? D’autant plus qu’elles n’étaient pas vraiment bien choisies ! (Il me jeta un regard inquisiteur.) Personnellement, continuai-je, je n’ajoute jamais de myrrhe à un vin ayant autant de caractère. Je n’en mets que dans les bibines de mauvaise qualité, car la myrrhe dissimule bien leurs péchés…
J’estimais en avoir assez dit. J’avançai de quelques pas dans la pièce.
Priscillus se nettoyait machinalement les ongles avec la pointe d’un stylet.
— Qu’es-tu venu faire ici, Falco ?
— Me venger.
— Tu vas être déçu.
— Non, je ne pense pas…
Il parut quelque peu surpris par mon assurance. Il était même assez troublé pour « oublier » d’appeler ses gardes. C’était bon signe. Il tenait à savoir ce que j’avais contre lui… et il n’allait pas tarder à l’apprendre !
— … Priscillus, je sais comment Hortensius Novus a été assassiné. Et si l’affaire arrive devant un juge, je serai témoin à charge…
— L’affaire n’arrivera jamais devant un juge.
Il continuait à se nettoyer les ongles, et il y avait du travail !
— Tu as tort de croire ça. Ce que je sais est beaucoup trop compromettant pour Felix et Crepito. Le préteur ne pourra pas se laisser convaincre de classer cette affaire, même s’il doit beaucoup d’argent aux Hortensius.
— Comment as-tu pu en apprendre autant ? persifla-t-il.
— En menant l’enquête qui m’avait été confiée sur la petite chercheuse d’or.
— Justement ! C’est cette fille, la coupable ! essaya-t-il de me persuader, en attrapant la perche que je venais de lui tendre. Je la revois, assise dans cette pièce, quand elle est venue m’apporter l’invitation. Elle m’a d’ailleurs dit que si jamais elle voulait se débarrasser d’un mari qui l’importunait, elle l’empoisonnerait !
— Le problème, c’est que Novus n’était pas encore son mari, soulignai-je. Mais vous tous, qui souhaitiez sa mort, vous avez pensé que sa présence dans la maison, le jour du banquet, suffirait à faire peser les soupçons sur elle. Severina Zotica n’est pas assez bête pour ne pas l’avoir
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