Une veuve romaine
récompenser d’avoir réussi à récupérer mes jetons malencontreusement avalés.
Le prix était aussi exorbitant que je l’avais craint : nous étions sur le mont Pincio. Mais un petit panier garni de feuilles de vigne était inclus, et je pus transporter le tout à la maison sans me salir les mains.
8
Ensuite, je courus le risque de faire monter ma pression sanguine en rendant visite à un préteur.
Au temps de la République, deux magistrats étaient élus chaque année – je devrais plutôt dire sélectionnés, car il ne s’agissait pas d’un vote libre : on les choisissait dans les rangs du Sénat. Mais à mon époque, leur nombre était passé à dix-sept, et deux d’entre eux s’occupaient uniquement de fraude. Celui qui avait mené l’enquête sur la chercheuse d’or s’appelait Corvinus. La Gazette du Forum m’ayant familiarisé avec les jugements rendus par l’équipe actuelle, je n’ignorais pas que Corvinus était entêté, imbu de lui-même et pompeux. Comme tous les préteurs, d’ailleurs. Dans l’échelle des nominations publiques, c’est le plus haut honneur civil après celui de consul. Alors, si un homme souhaite faire étalage de son ignorance de la moralité moderne, être préteur lui en fournit malheureusement l’occasion. Corvinus était déjà en place quand l’empereur avait décidé de mettre de l’ordre dans les cours de justice. Maintenant que Vespasien tenait les rênes, on pouvait parier sans aucun risque que c’était le dernier poste dont pourrait s’enorgueillir Corvinus.
Malheureusement pour mes clients, avant de se retirer dans ses terres du Latium, il avait eu le temps de conclure que la pauvre petite Severina, qui avait perdu trois riches maris dans une rapide succession, n’avait tout simplement pas eu de chance. Eh bien, c’est exactement pour cette raison que je pense ce que je pense des préteurs.
Je ne l’avais jamais rencontré, pour la bonne raison que je n’en avais jamais eu l’intention, mais en redescendant du mont Pincio, je me rendis directement chez lui. Il habitait une belle villa dans un coin tranquille du mont Esquilin. Un trophée ancien était suspendu au-dessus de la porte ; il commémorait une vieille bataille, au cours de laquelle l’un de ses ancêtres avait été décoré pour ne pas avoir pris ses jambes à son cou. Deux statues d’orateurs renfrognés et un buste d’Auguste, sans grand intérêt, accueillaient le visiteur. Il y avait également une énorme chaîne pour attacher un chien de garde, mais pas de chien au bout. En résumé, les habituels ornements défraîchis d’une famille qui n’a jamais été aussi importante qu’elle le pense, et qui sombre doucement dans l’oubli.
J’espérais que Corvinus serait parti passer l’été à Cumes, mais il appartenait à l’espèce des idiots consciencieux qui ne renoncent même pas à siéger le jour de leur anniversaire. Il avait beau se plaindre d’avoir trop de travail, il était suffisamment imbu de lui-même pour continuer à examiner des affaires pendant toute la canicule du mois d’août. Un portier peu enthousiaste me fit entrer. Dans l’atrium s’entassaient des faisceaux de verges enserrant des haches, attributs des licteurs de Son Honneur. J’entendis d’ailleurs un brouhaha de voix par une porte entrouverte, et j’en conclus qu’ils étaient en train de grignoter leur repas de midi. Dans un couloir, une rangée de bancs permettait aux plaignants et aux accusateurs d’attendre, en adoptant de préférence un air pathétique, pendant que le préteur ronflait pour aider son déjeuner à passer. Je fus aveuglé par le soleil qui tombait des hautes fenêtres carrées. Quand mes yeux se furent accoutumés aux jeux d’ombres et de lumières, je finis par distinguer la foule habituelle de râleurs qui encombrent les bureaux des hommes célèbres. Ils se surveillaient discrètement les uns les autres avec un air de ne pas y toucher, évitant comme la peste celui qui faisait mine de vouloir entamer une conversation. Ils s’apprêtaient probablement à passer un long après-midi tout à fait décevant.
J’évite toujours de m’asseoir au milieu des autres, pour ne pas attraper leurs maladies. Je marchai donc devant eux sans ralentir le pas. Quelques-uns se redressèrent sur leur siège, mais la plupart étaient prêts à laisser passer quiconque ayant l’air de savoir où il allait. Je n’éprouvais aucun remords à ne pas attendre mon
Weitere Kostenlose Bücher