Une veuve romaine
occupait pourtant mes pensées. D’autant plus que les clients espèrent obtenir des résultats concrets rapidement. Il me faudrait très bientôt faire un rapport sur les progrès de mon enquête.
Mes pieds, prenant la direction de l’est, me conduisirent juste en dessous de l’Esquilin, dans un quartier de la vieille ville que les habitants continuent d’appeler Subura, malgré les divers noms qui lui ont été attribués, après qu’Auguste eut décidé d’agrandir la ville et de délimiter de nouveaux secteurs administratifs. Quelques grincheux prétendent que c’est à partir de ce moment-là que Rome a perdu tout son caractère. D’après moi, Rome a perdu tout son caractère à partir du moment où Romulus a tracé le premier sillon délimitant une frontière. Dès lors, de vieux paysans obtus se sont dressés sur les sept collines pour grommeler dans leurs barbes à poux que la vie ne serait plus jamais la même, par la faute de ce fils de louve…
Le quartier de Subura a toujours conservé son caractère républicain. Sous le règne de Néron, une grande partie ayant été détruite par le grand incendie, l’empereur s’était approprié bon nombre des terrains noircis pour sa Maison dorée et son parc gigantesque. Il avait ensuite ordonné la reconstruction de Rome sous forme de zones quadrillées, et édicté des règlements anti-incendie particulièrement stricts. Néron avait fini par reconnaître que sa Maison dorée était suffisamment vaste pour un prince, et qu’il n’était plus nécessaire de recourir au droit de préemption impérial pour les terrains environnants. En fait, de nombreuses rues avaient été reconstruites tant bien que mal sur l’emplacement des anciennes, en désobéissance totale avec le nouveau règlement. Et ça me plaisait : l’Empire possédait déjà suffisamment de villes bâties au carré, qui se ressemblaient toutes.
Ce quartier était naguère le plus sordide de Rome. Beaucoup d’autres lui disputaient aujourd’hui cette distinction. Subura faisait penser à une vieille prostituée : il gardait une réputation sulfureuse qu’il ne méritait plus depuis longtemps. Il est vrai qu’on risquait toujours de s’y faire dévaliser. Comme partout ailleurs, les voleurs à la tire avaient beau jeu dans ces ruelles étroites. Leur numéro était au point : un bras autour de la gorge, la pointe de leur dague dans vos côtes, ils soulevaient votre bourse et vos bagues, avant de vous obliger à vous allonger le visage dans la boue pour avoir le temps de disparaître.
Je me tenais sur le qui-vive. Je connaissais ce quartier, mais pas assez pour reconnaître les visages ou pour que les voyous s’écartent de mon chemin.
Mon but, en venant ici, était de creuser plus profond dans le passé de Severina. Le commis du préteur, Lusius, avait mentionné que son premier mari, le joaillier Moscus, possédait une boutique dans le coin, et qu’elle existait toujours. Je me mis donc en quête de joailliers : ils savent en général où sont établis leurs concurrents. Le troisième essai fut le bon. En suivant la direction qu’on venait de m’indiquer, je trouvai le bon magasin, qui venait juste d’ouvrir.
Le nouvel artisan était sans doute un ex-esclave affranchi de Severus Moscus, maintenant établi à son compte. Il vendait toutes sortes de bijoux. Outre les camées, sur lesquels le dessin se détachait fièrement en relief, on trouvait de nombreuses pierres où il était en intaille. L’homme utilisait toutes les pierres semi-précieuses, mais surtout l’agate – bleu pâle, avec des veines laiteuses, blanches, veinées d’ocre-rouge ou de vert. Il venait de s’installer à son établi où il triait de petites boules d’or pour les intercaler entre des pierres.
— Salut ! m’écriai-je. Je suis bien chez Severus Moscus ? On m’a demandé de passer le voir. Ma mère connaissait sa mère…
— Est-ce que c’était à Tusculum ? demanda-t-il, en me jetant un regard pensif.
Il avait une voix curieusement haut perchée pour quelqu’un aux gestes aussi assurés. Pensant qu’il pouvait s’agir d’un piège, je haussai les épaules.
— Possible. Ma mère a vécu un peu partout. Je ne crois pas qu’elle me l’ait dit. Il faut dire que je n’écoute pas toujours ce qu’elle raconte…
— Moscus est mort.
— Non ! (Je laissai échapper un sifflement de stupéfaction.) Alors, j’ai perdu mon temps en venant ici ? Il est mort
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