Une veuve romaine
je comprends ! (Son visage prit un air triste.) Tu es déçu par ce que tu vois. Tu espérais avoir la peur de ta vie. Tu t’attendais à te trouver devant une harpie vociférante, en train de balancer diverses entrailles dans un feu vert, par-dessus son épaule ? Je ne fais plus ça : la fumée abîme tout… Tu ferais mieux de me dire quand tu es né.
— Pourquoi ?
— Quels que soient leurs motifs, tous ceux qui viennent me voir espèrent bénéficier d’une prophétie gratuite.
— Pas moi. Mais je suis né en mars, si tu tiens à le savoir.
— Poisson ou bélier ?
— Je n’en ai jamais été sûr. Juste entre les deux.
— Ça ne m’étonne pas de toi !
— J’avais raison. Tu as de l’antipathie pour moi.
— Comme beaucoup de gens, non ? Tu as vu trop de choses dont tu ne peux pas parler avec tes amis.
— Mes pieds ont parcouru trop de mauvais chemins en suivant trop de filles cupides qui ne reculent pas devant le crime. Pendant que j’y pense, elle s’appelle Severina.
— Je le sais, dit Tyche, sans rien perdre de son calme.
— Ah ?
— Severina était une cliente, m’expliqua l’astrologue. J’avais besoin de connaître son nom et son adresse pour envoyer ma facture.
Je ne parvins pas à dissimuler ma surprise.
— Je croyais qu’il fallait vous graisser la patte avec un denier d’argent, que vos prédictions ne se faisaient que contre espèces sonnantes et trébuchantes, toutes autant que vous êtes ?
— Certainement pas. Je ne parle jamais d’argent. J’ai trois comptables parfaitement compétents qui s’occupent de mes affaires financières…
Voilà une diseuse de bonne aventure qui n’avait rien à voir avec celles qui racontent des demi-vérités aux petites amies des bergers, sous des toiles de tente étouffantes. Tyche avait sélectionné sa clientèle chez les riches et devait les faire payer en conséquence.
— … Pourquoi es-tu venu me voir, Falco ?
— Tu devrais le deviner ! Qu’est-ce que Severina Zotica voulait de toi ?…
La femme me fixa longuement avec une expression censée déclencher un frisson entre mes omoplates. C’est ce qui se passa. Mais mon travail reposait autant sur l’esbroufe que le sien.
— … Est-ce qu’elle t’achetait des horoscopes ? (Elle acquiesça en silence.) J’ai besoin de savoir ce que tu lui as dit.
— Secret professionnel.
— Je suis prêt à payer le tarif.
— Ce genre de renseignement n’est pas à vendre.
— Tout est à vendre. Dis-moi de qui elle voulait connaître l’avenir.
— Il ne saurait en être question.
— Très bien. Alors c’est moi qui vais te le dire. Elle s’apprête à épouser quelqu’un et a envie de savoir ce qu’elle peut espérer de ce mariage. Un horoscope pour elle, ça c’était pour faire bien ; et l’autre pour…
— Son futur mari.
Tyche eut un sourire désabusé, comme si elle prenait conscience que ce qu’elle venait de dire serait mal interprété : certaines gens pensent que posséder l’horoscope d’une autre personne vous donne un pouvoir sur son âme.
C’était pour moi le premier indice tangible au sujet des mobiles de Severina. Mes orteils se recroquevillèrent à l’intérieur de mes bottes, tandis que mes talons essayaient de se frayer un passage dans la mosaïque du sol. Les fibres rugueuses de ma tunique de laine souvent portée me picotaient les clavicules. Dans cette pièce, dont le raffinement tranchait avec l’austérité de son occupante, régnait l’horreur.
Sans me laisser le temps de faire aucun commentaire, l’astrologue reprit l’initiative.
— Je présume que tu n’es pas quelqu’un de superstitieux ?
— Ce qu’il faudrait savoir, m’exclamai-je, c’est si Severina croit vraiment que, de cette façon, elle détiendra une emprise sur son fiancé !…
Rome accepte tous ceux qui prennent en main leur propre destinée, mais on considère que pour interférer dans la destinée de quelqu’un d’autre, il faut être animé de mauvaises intentions. Au point qu’en politique, se procurer l’horoscope d’un adversaire est assimilé à un acte d’hostilité.
— … Futur mari ou pas, Severina a brisé le tabou de son intimité. Tyche, tu pourrais être accusée de complicité dans une mort qui n’aurait rien de naturel. Au cas où l’affranchi mourrait, je serais prêt à te dénoncer pour avoir encouragé sa meurtrière. À moins que tu n’acceptes de coopérer. Que lui
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