Une veuve romaine
avait dû livrer mon adresse.
Je m’appuyai au chambranle de la porte. Un coup de balai fit voler un nuage de poussière au-dessus de mes pieds, emplissant mes bottes du même coup.
— Excuse-moi, gente dame, est-ce ici qu’habite le distingué Marcus Didius Falco ?
— À en juger par la saleté des lieux, je le croirais volontiers, répondit-elle, en m’obligeant à sauter par-dessus son balai pour l’éviter.
— Alors, maman, tu m’as trouvé ?
— Je suppose que tu avais tout de même l’intention de me dire où tu habitais ?
— Que penses-tu de mon installation ?
— Aucun membre de la famille n’a jamais habité dans la Piscina Publica.
— Il est temps de grimper dans la société, maman !
Pour tout commentaire, elle se contenta de renifler bruyamment. J’entrai dans l’appartement en essayant d’adopter la démarche de quelqu’un qui vient de se fatiguer plaisamment au gymnase. Elle ne s’y laissa pas prendre. Appuyée sur son balai elle demanda :
— C’est quoi, cette fois-ci, Falco ?
Le truc de la petite amie trop enthousiaste ne me parut pas être une très bonne idée.
— Des gens malintentionnés se sont jetés sur moi par surprise. Ça ne se reproduira plus.
— Oh ! vraiment ? (Ce n’était pas la première fois qu’elle me surprenait après une raclée que j’aurais préféré lui cacher.) Au moins, en prison, tu restais en un seul morceau !
— J’aurais fini par me faire dévorer par un énorme rat, maman ! C’est une vraie chance que tu aies réussi à m’en faire sortir.
Elle me flanqua un coup de balai pour bien me faire comprendre qu’elle y voyait clair à travers tous mes mensonges. Avec moi assis sur un tabouret en train de ricaner, elle n’avait plus à rechercher des preuves de ma vie immorale. Elle ne tarda donc pas à décamper, pour pouvoir continuer à se monter la tête dans la solitude. Mais avant de partir, elle me prépara du vin chaud en utilisant les ingrédients qu’elle avait apportés. Elle avait en fait rempli mon garde-manger, au cas où quelqu’un de respectable me rendrait visite. Consolé, je me mis au lit.
Je me réveillai au milieu de l’après-midi, complètement glacé, parce que je n’avais pas encore de couverture pour le lit de Junia. Au bout de trois jours, il me fallait des vêtements propres, et je sentais le besoin de m’entourer des quelques objets que j’appelais mes « trésors ». Donc, comme si la journée n’avait pas déjà été assez agitée, je décidai d’user mes dernières forces dans une expédition Cour de la Fontaine.
Les boutiques étaient encore fermées au moment où j’escaladais péniblement l’Aventin. Tout m’apparut calme dans mon ancienne rue. Les affreux sbires de mon ancien propriétaire, Rodan et Asiacus, semblaient accorder un jour de quiétude au voisinage. Aucun signe non plus des chiens de garde du chef espion Anacrites. Côté blanchisserie, c’était l’heure de la sieste. En définitive, le moment idéal pour entrer ; selon les apparences, je ne risquais rien.
Après m’être hissé lentement jusqu’au sixième, je me glissai dans mon ancien appartement. J’y rassemblai mes tuniques préférées, un chapeau pratique, ma toge de cérémonie, un oreiller, deux poêles en fer (plus ou moins en bon état, malgré cinq années d’utilisation), la tablette de cire sur laquelle je composais des poèmes sentimentaux, des bottes de rechange et, ce que je préférais par-dessus tout, dix cuillères en bronze qui m’avaient été offertes par Helena. Je ficelai le tout dans une couverture rapportée de l’armée, avant de redescendre au niveau de la rue en traînant mon balluchon derrière moi, comme n’importe quel cambrioleur son butin.
Un véritable voleur aurait réussi à s’en tirer. Ceux qui connaissent bien leur métier parviennent à quitter une maison avec dix charrettes de marbre ancien, des dizaines de statues en bronze, et la fille de la maison, sans qu’aucun voisin ne remarque rien. Moi, qui sortais de chez moi en toute légalité, je fus repéré par une énorme mégère vendeuse de saucisses, qui s’imagina tout de suite le pire. Et même dans ces circonstances, la plupart des cambrioleurs auraient réussi à disparaître sous les yeux écarquillés du témoin indécis. Je n’eus pas cette chance. Je venais de tomber sur la seule personne, vivant de ce côté-ci de l’Aventin, prête à se mêler de ce qui ne la regardait pas.
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