Une veuve romaine
déplaisait probablement, mais voir quelqu’un se laisser intimider de la sorte me rendait furieux.
— On peut prévenir les accidents ! aboyai-je.
Je tirai sur la bride pour éloigner l’âne de l’étal. L’animal avait l’air aussi coopératif qu’un poulain sauvage prisonnier d’un fourré, mais s’il s’était avisé de me mordre, j’étais assez en colère pour le mordre à mon tour.
— Disparaissez, tous les deux, et ne vous avisez surtout pas de revenir montrer vos museaux dans le coin !
Sur ces mots, je flanquai à l’âne une méchante claque sur la croupe, et il partit au galop après avoir émis un braiment de protestation. Arrivé au bout de la rue, le cavalier tourna la tête, mais il me vit toujours solidement planté au milieu de la chaussée, ne le perdant pas de vue.
Quelques personnes s’étaient rassemblées pour observer les événements en silence. Une ou deux m’aidèrent à ramasser les fruits. Les autres se dispersèrent à la hâte – sans doute venaient-ils de se rappeler des rendez-vous urgents. Le vieux marchand jeta les fruits abîmés dans un baquet qu’il gardait dans l’arrière-boutique, et s’efforça d’arranger les autres de façon à ne laisser aucune trace de l’incident.
Quand il y fut parvenu, il parut se détendre un peu.
— Tu connais ce lourdaud ? demandai-je. Qu’est-ce qu’il te voulait ?
— C’est un envoyé du propriétaire qui veut augmenter les loyers pour toutes ces boutiques. (Comment ne l’avais-je pas deviné !) Ceux qui font les produits saisonniers gagnent pas assez pour donner plus. Moi, j’ai payé l’ancien loyer en juillet en demandant un délai… Ça, c’était la réponse.
— Qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ?
Il ne répondit rien, se contentant de hocher la tête d’un air effrayé. Nous savions tous les deux que je lui avais causé plus de tort qu’autre chose, en le défendant aujourd’hui.
Severina était restée plantée devant la porte de sa maison. Elle ne fit aucun commentaire, mais son visage était étrangement fermé.
— Pardon d’être parti aussi vite.
Alors que nous traversions l’entrée, je continuais de bouillir d’indignation.
— As-tu le même propriétaire que les boutiques ? (Elle fit non de la tête.) Tu sais qui c’est ?
— Un consortium. Il y a beaucoup de problèmes depuis quelque temps.
— De la violence ?
— J’en ai l’impression…
Je n’avais pas rendu service au marchand de fruits, et j’en éprouvais un malaise. Au moins, tant que je mènerais cette enquête au sujet de Severina, je pourrais garder un œil sur lui.
Après sa promenade matinale, Severina avait demandé une boisson reconstituante. Elle m’invita à me joindre à elle. Pendant qu’on nous servait, elle resta pensive, tout comme moi. Nous étions préoccupés par l’attaque du marchand de fruits.
— Falco, tu savais que le vieil homme avait des problèmes avec son propriétaire ?
— Quand j’ai vu la façon dont ce type agissait, c’est la première chose qui m’est venue à l’esprit.
Aujourd’hui, elle était en bleu ; un bleu profond, avec un corselet d’un ton moins vif, dans lequel elle avait tissé des fils orange pour obtenir un contraste. Tout ce bleu conférait une couleur surprenante à ses yeux. Et même ses cheveux semblaient avoir pris une teinte plus riche.
— Tu t’es laissé emporter par ton bon cœur ! (Elle donnait l’impression de m’admirer pour avoir réagi comme je l’avais fait. Je continuai de tourner ma cuillère dans ma boisson.) Depuis quand hais-tu les propriétaires, Falco ?
— Depuis que le premier a commencé à me mettre le couteau sous la gorge. (Severina me regardait par-dessus le rebord de sa tasse en céramique rouge – un objet plutôt ordinaire, mais agréable à tenir en main.) Ils essaient de nous étrangler avec leurs baux. J’ai eu un grand-oncle…
Je m’arrêtai net. Elle savait écouter.
— … Cet oncle vendait les produits de son potager sur les marchés, et avait permis à son voisin d’élever un cochon dans une cabane sur son terrain. Pendant une vingtaine d’années, leur entente fut parfaite. Puis, le voisin devenu plus prospère offrit un paiement annuel. Mon grand-oncle accepta et, peu de temps après, il se dit qu’il pourrait peut-être insister auprès de son voisin pour qu’il fasse réparer le toit de la cabane ! Il fut si horrifié par cette pensée qui lui
Weitere Kostenlose Bücher