Une veuve romaine
Il a l’habitude de venir déjeuner ici. (Je fis mine de m’en aller discrètement, mais elle me fit signe de ne pas bouger.) Je vais aller le prévenir. Ensuite, tu pourras venir nous rejoindre. (J’étais trop surpris pour répondre. Severina sourit.) Je lui ai parlé de toi, murmura-t-elle, ravie de mon air déconfit. Reste, Falco. Mon fiancé a très envie de faire ta connaissance.
Là-dessus, elle quitta la pièce.
Le perroquet se mit à émettre des bruits bizarres. Il se moquait de moi, sans aucun doute.
— Au premier mot de travers, criai-je d’un ton menaçant, je te colle le bec avec de la résine de pin !
Poussant un grand soupir, Chloé s’exclama : « Oh ! Cerinthus ! » Je n’eus malheureusement pas le loisir de lui demander qui était Cerinthus, car Severina était déjà de retour, accompagnée de son futur époux.
20
Hortensius Novus était corpulent et imbu de lui-même. Il portait une tunique si immaculée qu’il devait en changer au moins cinq fois par jour. Ses doigts étaient chargés de lourdes bagues. Tout le poids de son visage se concentrait dans son menton basané. Les coins affaissés de sa bouche charnue lui conféraient un air inquiétant. Il devait avoir une cinquantaine d’années, ce qui n’était pas trop âgé pour Severina. Nous vivions dans une société où les héritières étaient fiancées dès le berceau, et où les sénateurs déjà arrivés à mi-carrière épousaient de jeunes patriciennes de 15 ans. Le perroquet lui adressa un rire moqueur qu’il préféra ignorer.
— Hortensius Novus… Didius Falco…
Un bref signe de tête de sa part, un salut normal de la mienne. Severina s’était transformée en professionnelle au travail. Son sourire avait perdu toute acidité et ses manières s’étaient faites onctueuses.
— Passons dans la salle à manger, si vous le voulez bien…
Son triclinium était la première pièce de la maison que je voyais décorée de fresques : des treilles et des urnes débordant de fleurs se détachant discrètement sur un fond grenat classique. Quand Novus s’étendit sur sa couche, Severina elle-même lui retira ses chaussures de marche, mais son dévouement amoureux s’arrêta là. Elle laissa un esclave laver ses grands pieds.
L’esclave lui tendit un autre bol, et Novus se rafraîchit les mains et le visage. Il s’agissait d’un bol d’argent de belle taille, et la serviette qui pendait au bras de l’esclave était moelleuse. On semblait d’ailleurs avoir inculqué d’excellentes manières à l’esclave en question. De ces prémices, on retirait l’impression que Severina était capable de tenir correctement une maison, sans embarras inutiles, avec le minimum d’extravagances.
Même le raffinement du repas me donna à penser. Il s’agissait du déjeuner romain le plus simple qui soit : pain, fromage, salade, vin allongé d’eau, fruits. Et, cependant, Severina était parvenue à en faire quelque chose de luxueux : pour trois personnes, elle avait rassemblé toute une collection de fromages de lait de chèvre, de brebis et de vache ; on avait ajouté à la salade de minuscules œufs de caille, et les humbles radis étaient découpés en formes compliquées (la salade fut remuée devant nous avec beaucoup de panache). Le tout s’accompagnait de petits pains blancs particulièrement raffinés. Pour terminer, elle nous offrit un incroyable assortiment de fruits.
Il s’agissait vraiment d’un repas simple, mais d’une simplicité coûteuse que seuls les riches peuvent se permettre.
Novus et Zotica paraissaient très à l’aise ensemble. Ils eurent une courte conversation au sujet des arrangements à prendre pour leur mariage. Il s’agissait surtout d’éviter les dates malchanceuses, l’une des préoccupations majeures de tous les futurs époux – ils finissent en général par choisir la date anniversaire d’une tante… pour découvrir au dernier moment que la vieille est partie en croisière avec un jeune masseur musclé, et à qui, sans hésiter, elle va léguer tous ses biens.
Avec autant de choses à manger, il y avait beaucoup de silences. Cela ne m’empêcha pas de comprendre très vite que Novus était un homme d’affaires voué à la finance, et entièrement préoccupé par son travail. Il ne fit pas la moindre allusion à mon enquête. D’un côté, j’en éprouvais un soulagement, mais de l’autre, rien ne justifiait plus ma présence à ce déjeuner. En fait,
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