Vengeance pour un mort
c’est le sabbat et que je ne dois pas travailler.
— Je comprends, fit Johana. On pourrait avoir besoin de toi et se demander où tu es passée sans que ton travail soit en cause. Allons nous asseoir ici, à l’ombre, et tu me délivreras ton message.
La petite fille observa le verger d’un air suspicieux puis elle se rapprocha de dame Johana.
— Votre fidèle serviteur désire que je vous dise qu’il croit qu’il est en voie de guérison.
— C’est tout ?
Jacinta fit oui de la tête.
— Et l’est-il ?
— Maître Jacob a un ami qui est un grand médecin, madame. Il est venu chez lui pour un mariage. Il a remis en place les os du patient – nous n’avons pas le droit de l’appeler autrement – et il lui donne des potions qui lui permettent de dormir et de manger. Il a l’air beaucoup mieux. Mais il ne faut pas pleurer, madame, ajouta-t-elle avec beaucoup de sincérité. Il a dit que vous ne deviez pas pleurer.
— Tout le monde ici sait que je pleure la mort de mon époux. Quelques larmes de plus n’y feront rien, répliqua Johana en s’essuyant les yeux. Que dit ce médecin ?
— Il a expliqué à maître Jacob que l’odeur de la mort avait quitté le patient. Et maître Jacob a dit à la maîtresse que c’était une très bonne nouvelle, parce que maître Isaac sait presque toujours quand un homme va vivre ou mourir. Et puis, madame, maître Isaac a un apprenti, Yusuf, qui est pupille de Sa Majesté le roi. Yusuf m’a dit que maître Isaac est le médecin de Gérone qui a guéri le prince de la Couronne, l’infant Johan, quand il était bébé et que Leurs Majestés avaient perdu tout espoir.
Dame Johana se pencha pour murmurer à l’oreille de l’enfant.
— Porteras-tu un message à mon loyal serviteur ? Dis-lui que je vais bien et que je lui souhaite les meilleures choses.
— Oui, madame, je ferai la commission. Maintenant je dois m’en aller, on peut avoir besoin de moi.
— Prends ceci, et ne le perds pas.
Jacinta regarda la lourde pièce d’argent au creux de sa main et la cacha vite dans un pli de sa robe.
— Merci, madame, moi aussi je vous souhaite plein de bonnes choses.
— Quelle était cette douce enfant avec qui vous conversiez ? dit une voix derrière Johana.
— Oh, Margarida ! Depuis quand êtes-vous là ?
— Peu de temps. La princesse est en chemin.
Margarida frappa dans ses mains pour appeler le page.
— La princesse sera bientôt ici. Elle veut son siège et des coussins. Ainsi que des rafraîchissements.
— Ce sera fait, madame, dit-il avant de disparaître.
— Vous m’avez dit que c’était… ?
— Elle m’a apporté un message concernant le serviteur de mon seigneur. Il est rentré dans sa famille, à Valence. Je peux comprendre pourquoi il veut s’en aller. Mais s’il avait attendu demain, j’aurais fait en sorte qu’il perçoive ce que je lui dois.
— Et que doit-on à un serviteur qui abandonne sa maîtresse au premier ennui ?
— Vous êtes trop dure, Margarida. Il n’a pas été réglé depuis le dernier terme, et je suis certaine qu’Arnau aurait aimé qu’il touchât davantage. Il lui était très loyal.
— J’en doute. Vous le dites loyal, Johana, mais s’il ne l’était pas ? Le simple fait que votre Arnau ait péri dans cette attaque mais pas son serviteur me le rend suspect. Et pourquoi partir si précipitamment ?
— Je crois qu’il craint pour ses jours.
La princesse Constança et ses dames apparurent à l’entrée du verger quelques secondes après la fin des préparatifs. Johana et Margarida se levèrent et firent la révérence ; les serviteurs s’écartèrent pour ne pas gêner. Plus rien ne bougeait hormis les feuilles au vent. Dédaigneux de l’étiquette, le petit épagneul de la princesse vint s’ébattre à ses pieds avant de partir en quête de la chatte écaille de tortue. Sa maîtresse s’assit, et le chien vint reprendre place à ses pieds.
— Dame Johana, venez près de moi, dit Constança. Parlons ensemble.
Johana fit une nouvelle révérence et prit, à côté de la princesse, le siège le plus prisé des dames de compagnie.
— J’ai effectué quelques démarches pour soulager votre condition, dit Constança. Mais j’ignore si elles seront couronnées de succès.
— Votre Altesse, dit Johana dont les yeux s’emplirent encore une fois de larmes, je vous suis profondément reconnaissante d’avoir condescendu à agir en mon nom.
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