Vengeance pour un mort
après-midi était un chien beige qui dormait au soleil. Bonafilla était au centre de la place, tournée vers la rue où lui-même se trouvait. Elle parlait à un homme bien vêtu, apparemment oublieuse de tout ce qui n’était pas lui. Quand Yusuf arriva sur la place, il vit le dos de l’homme et sa tunique bien coupée. L’homme semblait tendu, prêt à s’enfuir ou à tirer l’épée à la moindre alerte, et sa tête ne cessait jamais de bouger, indiquant qu’il regardait discrètement dans toutes les directions.
Un volet claqua quelque part au-dessus de la tête de Yusuf. L’homme se retourna avec la vitesse d’un serpent et le jeune garçon entrevit un visage familier. Sauf erreur, l’individu qui parlait à Bonafilla n’était autre que Felip, l’étranger qui s’était joint à eux pour la dernière étape de leur voyage. Yusuf quitta la place et passa de porte en porte avant de rejoindre une rue couverte dont la pénombre lui offrait un abri d’où il pouvait voir l’homme de profil. Yusuf en était sûr : c’était Felip. Ses cheveux et sa barbe étaient taillés de frais et il portait une tunique à la mode en soie lie-de-vin ourlée de velours d’or.
Ester se tenait à l’ombre, de l’autre côté de la place, et elle les observait. Elle avait des mouvements d’impatience et levait de temps à autre la tête vers le ciel pour mesurer la progression du soleil. La curiosité et l’inquiétude marquaient tour à tour les traits de son visage.
— Je ne peux pas, dit Bonafilla. C’est tout. Tout est si difficile avec vous. Voilà, je ne sais pas.
Quelle que fût la réplique de Felip, elle fut prononcée d’une voix si discrète que même les oreilles fines de Yusuf ne parvinrent à la déchiffrer. Il s’inclina galamment et se dirigea droit vers la rue où se cachait le jeune garçon. Seule au milieu de la place, Bonafilla était blême et avait l’air misérable. Quelques minutes après son départ avec sa servante, Yusuf quitta sa tanière.
Johana était à son ouvrage quand une chambrière apparut à la porte de son boudoir.
— Madame, dit-elle, Son Altesse Royale désire vous voir immédiatement.
Johana abandonna ses travaux d’aiguille, lissa sa robe, se recoiffa brièvement et suivit la servante dans le couloir qui menait aux appartements de la princesse Constança.
— Si vous voulez bien attendre, madame, dit la chambrière, je vais prévenir Son Altesse de votre présence.
Sur ce, elle se glissa dans la chambre.
Dans l’antichambre, l’atmosphère était tendue. Toutes les dames de compagnie étaient là et, chose curieuse, elles avaient l’air soit énervées, soit ennuyées, soit apeurées. Margarida lui fit signe, mais ni l’une ni l’autre ne sourirent ni ne parlèrent. Il y eut un long silence gêné. Johana se tenait près de la porte.
La chambrière réapparut enfin.
— La princesse Constança prie Votre Seigneurie d’entrer, dit-elle en lui tenant la porte et en la refermant après son passage.
La princesse était penchée sur un grand panier posé sur une table. Des larmes coulaient sur ses joues.
— Dame Johana, dit-elle, il vous faut m’aider. Laisse-nous, lança-t-elle à la chambrière. Et n’écoute pas à la porte !
Elle attendit quelques instants avant de s’adresser à Johana.
— Je ne vous ai jamais demandé qui a aidé votre époux quand il a été blessé parce que je savais que vous craigniez que sa vie ne fût en danger. Mais j’ai appris qu’il a été soigné – ou, devrais-je dire, son serviteur, lequel a également été blessé – par un médecin de Perpignan, avec l’aide de cet autre médecin qui a débarrassé mon jeune frère de tous ses maux. Et que l’homme s’est si bien remis qu’il peut aujourd’hui voyager.
— Oui, Votre Altesse, c’est d’une certaine façon ce qui s’est passé, même si…
— Peu importe. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est la science de ces deux médecins, fit-elle avec impatience.
— C’est vrai, Votre Altesse, ils sont très habiles.
— Il faut les quérir sur-le-champ, et vous êtes la seule à savoir qui ils sont et où ils exercent. Regardez, dame Johana, regardez ma pauvre petite Morena.
Elle s’écarta du panier, sans toutefois en ôter la main.
Le petit épagneul brun à taches blanches y était couché, une patte toute raide ; du sang coagulé souillait la fourrure de sa tête et de sa patte. La chienne gémit quand la princesse
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