Vengeance pour un mort
C’est bien plus que je ne mérite.
— Cela me fait plaisir, et cela m’en fera encore plus si mes efforts aboutissent. Mais, hélas, en dépit de cela, ajouta-t-elle en désignant de la main les serviteurs, les dames et le verger, je suis une personne dont le vrai pouvoir est limité, sauf pour de petites choses. Je suis dépendante des caprices d’autrui. En revanche, je peux approcher ceux qui ont la capacité de vous assister. Je me suis servie de cette faculté. Nous verrons ce qu’il advient.
La maison du médecin semblait recroquevillée sur elle-même et s’être endormie dans la chaleur de cette fin d’après-midi. Raquel était assise près de la fenêtre, son ouvrage sur les genoux ; elle ne faisait rien et se demandait si elle aurait le temps de descendre chercher un livre avant que son patient ne s’éveille. La porte s’ouvrit sur Yusuf.
— Je vais m’en occuper, murmura-t-il. Vous êtes là depuis ce matin.
— Jacinta est venue un moment, chuchota Raquel. Elle aime rester auprès de lui, dit-elle. Mais j’accepte ta proposition. Reste-t-il à manger ?
— Oui. Des fruits et des pois chiches au vinaigre.
— C’est tout ce dont j’ai besoin. Peut-être lui apporterai-je une poire mûre. Il a de plus en plus faim.
Elle descendit l’escalier en courant mais sans faire de bruit grâce à ses bottines de cuir souple. Elle sortit dans la cour silencieuse, s’étira et s’approcha de la table, où les divers plats étaient recouverts de linges. Elle enveloppa deux poires et une pomme dans une serviette, emplit un bol de pois chiches et versa un gobelet de menthe fraîche et de citron. Elle arracha un petit morceau de poulet de la carcasse et le grignota. Elle entendit des pas hésitants dans la partie avant de la maison. Elle essuya à la hâte ses doigts pleins de graisse et déposa son larcin sur une partie ombragée de la table. Elle s’assit, s’attendant à tout moment à être interrompue.
Personne n’apparut. L’idée lui vint soudain que ce pouvaient être les pas de son père : s’il marchait avec une telle hésitation, c’était parce qu’il se trouvait dans une partie de la maison qu’il ne connaissait pas. Elle s’en voulut de s’être à peine souciée de lui depuis leur arrivée, son propre père bien-aimé, un étranger, un aveugle dans une maison inconnue. Qu’il en connût le maître depuis des années ne l’aidait en rien, et elle l’avait oublié. Elle prit un morceau de pain, car elle avait terriblement faim, et elle s’empressa d’aller l’assister.
Quand Raquel franchit la porte entrouverte, elle eut à peine le temps de voir Bonafilla marcher sur la pointe des pieds, suivie d’Ester, au moment où elles poussaient la lourde porte d’entrée et sortaient dans la rue.
CHAPITRE X
Le dimanche matin, il plut. Maîtresse Ruth confia son jeune fils à Leah, passa un tablier et se dirigea vers la cuisine afin d’aider la cuisinière et Jacinta. Car, en plus du déjeuner, il fallait s’occuper du repas de noces. Les plats principaux – une douzaine de poissons, d’innombrables volailles, des gigots de mouton et trois agneaux entiers – seraient cuits mardi dans le four du boulanger, ainsi que les pains et les gâteaux, mais il fallait encore les saler, les épicer, les huiler, les attendrir dans le vin et les préparer de bien d’autres façons encore. D’autres plats, lentilles, pois et riz odorant, par exemple, seraient accommodés sur place. En plus des occupants de la maison, quelque quatre-vingts personnes étaient attendues au mariage, qui se déroulerait dans la grande salle et le jardin construits sur la synagogue. Ruth était résolue à organiser un festin qui leur plût à tous.
Elle avait déjà décidé que Leah serait mieux employée auprès des petits enfants que dans la cuisine et que la morale des ancêtres de Jacinta importait moins en cette occasion que son désir de faire de son mieux.
La pluie cessa vers midi et, à l’heure du dîner, il faisait assez sec dans la cour pour qu’on y dispose la table. Toute la maisonnée était en effervescence. Isaac monta s’occuper du patient et envoya Raquel et Yusuf prêter main-forte à la maîtresse des lieux ; David et Jacob furent engagés comme messagers ; même Bonafilla dut servir à la cuisine.
Elle était occupée à broyer des épices. Elle reposa le mortier et le pilon pour dire qu’elle avait la migraine.
— Il est vrai que vous avez l’air très
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