Vengeance pour un mort
s’éloigna d’elle puis elle referma les yeux.
— Voyez sa patte, dit Constança.
— Elle semble cassée, Votre Altesse, avança prudemment Johana.
— Elle l’est, en effet. Ces sottes l’ont laissée se sauver. Elle a descendu l’escalier de la grande cour et elle a été mordue par l’un des mastiffs de la garde. Cela leur coûtera cher si elle ne s’en remet pas, ajouta-t-elle d’une voix frémissante de colère.
— Je serais heureuse de vous donner les noms des médecins, Votre Altesse. J’espère seulement qu’ils peuvent soigner un chien comme ils soignent un homme.
— Les os des chiens sont-ils différents de ceux des humains ?
— Je pense qu’ils guérissent de la même façon, Votre Altesse.
— Appelez ma chambrière, dame Johana, ordonna la princesse sans s’éloigner de l’animal blessé.
La chambrière apparut avec une promptitude suspecte.
— Va chercher mon secrétaire ! lui lança-t-elle. Je veux faire écrire une lettre, immédiatement.
Dès que Johana se fut éloignée des appartements de la princesse, l’angoisse lui serra le cœur. Presque tout ce que la princesse avait dit n’était connu que de Johana. En dehors d’elle et de la petite Jacinta, nul dans le palais ne savait qui avait soigné Arnau. Et personne n’avait pu surprendre sa conversation avec la petite fille. Non, personne – hormis la loyale, l’honnête Margarida, si elle s’était trouvée dans le verger à épier son amie.
Quand Yusuf regagna la maison du médecin, Isaac et Jacob l’attendaient à la porte.
— Lave-toi les mains et la figure, Yusuf, lui dit Isaac dès qu’il l’entendit entrer. Nous nous rendons au palais pour un cas des plus sérieux.
Mordecai se tenait derrière eux, une boîte à la main.
Yusuf s’empressa de faire sa toilette puis il réapparut.
— Qui est notre nouveau patient ? demanda-t-il. Pas dame Johana, j’espère.
— Pourquoi dis-tu ça ?
— Parce que notre patient à l’étage ne saurait le supporter, seigneur.
— C’est juste. Mais le patient, ou plutôt la patiente que nous allons voir est également très aimée. Mais à ce que je sais, Yusuf, elle n’a pas de rapport avec l’homme dont nous nous occupons. Ce sera malgré tout un cas assez délicat, car la princesse lui voue un amour immodéré.
— De quoi souffre-t-elle ?
— De fracture et de morsures de chien reçues au cours d’une bagarre.
Yusuf les regarda l’un après l’autre sans comprendre.
— Une des dames de compagnie de Son Altesse Royale s’est bagarrée ?
— Avant que tu n’y perdes ton latin, Yusuf, autant que je te révèle en quoi consiste cette nouvelle mission. Notre patiente est une chienne, l’amie la plus chère de la princesse Constança.
Les deux médecins et Yusuf se tenaient dans la chambre de la princesse Constança car celle-ci n’imaginait pas un seul instant déplacer l’animal blessé. Jacob commença l’investigation et palpa la malheureuse bête pour localiser les blessures. À l’exception d’une déchirure à l’oreille qui avait saigné abondamment, la seule autre plaie était celle qui se trouvait sur la patte brisée. Yusuf et Jacob tamponnèrent les blessures de vin et d’herbes afin de favoriser la guérison et d’éloigner l’infection puis Yusuf pressa un carré d’étoffe sur l’oreille de Morena pour faire cesser tout saignement.
Pendant ce temps, la princesse se tint en face d’eux, la main posée sur Morena pour la calmer.
Isaac prit alors la patte. Morena gronda et la princesse la fit taire. Il la palpa, très délicatement, mais elle grogna à nouveau.
— Quand j’atteindrai la fracture, Votre Altesse, il faudra la tenir pour que je puisse remettre l’os en place. Ainsi elle guérira. Je me refuse de lui donner des gouttes contre la douleur car je crains que cela ne lui fasse plus de mal que de bien. Peut-être Yusuf pourrait-il la maintenir.
— Je m’en chargerai, dit Constança. Quand vous arriverez à la fracture, je lui bloquerai la tête et le corps. Vous pourrez vous occuper de sa patte.
Il travailla alors très vite. Jacob tamponna à plusieurs reprises la peau déchirée et Isaac commença ses palpations à partir du train arrière. La chienne tremblait de peur et de douleur au fur et à mesure qu’il approchait de la fracture mais, quand le médecin dit « Maintenant, Votre Altesse », elle s’immobilisa sous la poigne de sa maîtresse et de Jacob, qui se
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