Vengeance pour un mort
d’employer une partie de son argent pour acheter le quart de la cargaison d’une embarcation de Bayonne, aujourd’hui à l’ancre à Collioure.
— La Santa Maria Nunciada.
— Vous ai-je révélé son nom dans mes délires ? Peu importe. Moi et mes associés – ils sont huit – avons acquis une belle quantité de linge fin, de laine, ainsi que d’armes et d’armures de haute qualité que nous destinions à l’Orient. Elle devait revenir avec des soieries et des épices.
— J’ai déjà entendu parler de cette entreprise. Elle semble d’importance, en effet.
— À cause des armures et des armes, il nous fallait de coûteux permis à l’exportation pour que la cargaison quitte la ville et soit montée à bord du vaisseau. Sinon, il aurait fallu la passer en contrebande. Je ne voulais pas prendre un tel risque, même si j’avais été prêt à défier les édits de Sa Majesté.
— Qu’en pensaient vos associés ?
— Notre consortium comportait des membres étrangers, qui m’avaient adressé des instructions afin que je négocie des permis légaux, mais j’étais le seul, ici, au Roussillon, à m’opposer fermement à recourir à des méthodes dangereuses mais plus rentables. Cela me paraissait absurde : la cargaison que nous transportions avait une grande valeur, et celle que nous ramènerions vaudrait bien plus. Pourquoi risquer autant pour quelques pièces d’or ?
Il s’arrêta de parler comme s’il attendait une réponse.
— Permettez-moi de raconter la fin de votre histoire, señor, dit Isaac. Reprenez-moi si j’ai tort. Vous vous appelez Arnau Marça et votre vaisseau, la Santa Maria Nunciada, est déjà en route vers sa destination.
— Elle a appareillé ?
— Il y a plus d’une semaine, Don Arnau. Ce même jour, vous avez été arrêté et accusé de sortir du comté de Roussillon des armes essentielles au royaume. Une accusation très grave quand Sa Majesté le roi est en guerre. Ne m’interrompez pas, señor, jusqu’à ce que j’aie fini ce que je connais de votre histoire. Les armes et les autres produits ont été montés à bord, selon vos accusateurs, à l’insu de vos associés et sous le couvert d’une honnête cargaison d’étoffes et de denrées alimentaires. En un mot, Don Arnau, on vous accuse de trahison, un crime capital. Vous alliez être jugé et sans aucun doute exécuté quand vous vous êtes évadé de prison. Ai-je raison ?
— Dans l’ensemble, oui, maître Isaac.
— L’histoire veut ensuite que vous soyez mort lors de cette tentative d’évasion. De plus, Don Arnau, vous reposez auprès de vos ancêtres.
— Ce n’est pas tout à fait exact. Comme vous pouvez le voir. Pourriez-vous me donner de l’eau ?
Isaac saisit la cruche et la tendit à son patient.
— Comment êtes-vous arrivé ici, dans la maison de maître Jacob ?
— Être reconnu coupable d’un tel crime, maître Isaac, signifierait que je perds la vie, mais aussi que ma femme et l’enfant qu’elle porte se trouveraient déshérités et que mes biens reviendraient à Sa Majesté. Mon épouse a organisé mon évasion de la prison royale, de manière efficace. Malheureusement, une des personnes qu’elle a achetées a parlé. Nous avons été interceptés et sauvagement frappés par quatre brutes.
— Nous ?
— Johana, mon serviteur, Jordi, et moi-même. Johana est partie chercher du secours et, après que ces misérables furent chassés, elle m’a traîné avec Jordi, dont les blessures semblaient moins graves que les miennes, jusqu’au Partit, où une femme connue de Jordi m’a recueilli.
— Celle qui a fait venir ici la petite Jacinta.
— Oui. Nous avons passé deux jours chez Esclarmonda. Pendant ce temps, elle est allée au marché aux fripes où elle m’a acheté de quoi jouer mon rôle de pauvre marchand de Carcassonne. Mais hélas, ni elle ni le rebouteux ivrogne qu’elle a engagé n’ont réussi à m’ôter ma chemise : elle a trahi mes origines auprès de votre fille et de vous-même. Elle a également réussi à nous faire admettre chez maître Jacob. Elle pensait que je serais plus en sécurité dans le Call que nulle part ailleurs.
— Et votre serviteur, Jordi ?
— À mon grand chagrin, l’état de Jordi s’est révélé être pire que le mien ; peu après notre arrivée ici, il est mort des fièvres provoquées par l’infection de ses blessures.
— Il est difficile de s’en prévenir, dit le médecin,
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