Vengeance pour un mort
la chambre du patient, déclara-t-il.
— Puisque tu y montes, apporte-lui quelque chose à manger, répondit-elle. Il n’a pratiquement pas déjeuné.
Elle lui tendit un bol de pois chiches épicés ainsi qu’une miche de pain.
— J’ai apporté à dîner à notre patient, dit Yusuf. Ce n’est pas grand-chose, mais ils sont en pleine effervescence à la cuisine. Vous aurez d’autres mets plus tard, señor, je m’en suis personnellement assuré.
— Et où vas-tu, Yusuf ?
— Je pensais faire un tour au marché pour y retrouver mes nouveaux amis. Si nous partons demain, ce sera ma dernière chance de les voir.
— Vous partez demain ? demanda le malade.
— Vous êtes ici en de bonnes mains, assura Isaac. Vous n’avez plus besoin de nous. Tu peux y aller, Yusuf, mais n’oublie pas d’être prudent.
— Oui, seigneur, dit-il docilement avant de disparaître.
Dès que la porte se fut refermée sur le garçon, Isaac se tourna vers le malade.
— J’ai eu à votre sujet une intéressante conversation avec l’évêque, commença Isaac.
— Et que pourrait avoir à dire Son Excellence l’évêque à propos d’un personnage aussi négligeable que moi ?
— Beaucoup de choses. Il avait des idées fausses à votre sujet, mais certaines de ses révélations ont confirmé mes soupçons quant à votre identité.
— Je ne suis personne. Quelles idées erronées nourrit-il ?
— La plus importante est que vous êtes mort. Non seulement mort mais aussi enterré. De plus, il est convaincu que vous avez une femme.
— Je n’ai pas de femme, je vous l’assure. Non, je n’en ai pas. Je vous en prie, maître Isaac, souvenez-vous-en.
— Peut-être n’avez-vous pas d’épouse, señor, mais je vous affirme que vous n’êtes pas mort. Vous ne pouvez me tromper sur ce point. Je crois qu’il est temps d’arrêter cette mascarade et me dire toute la vérité.
— La vérité est parfois l’arme la plus délicate et la plus dangereuse. Elle détruit souvent celui qui la brandit plus encore que son adversaire.
— Néanmoins, je pense devoir la connaître.
— Quelqu’un peut-il nous entendre ?
— En dehors des employés de la cuisine, nous sommes presque seuls. Raquel, installe-toi au pied de l’escalier et fais en sorte que l’on ne surprenne pas notre entretien.
— Oui, papa, dit sa fille, qui s’en alla à contrecœur.
— Je crois vous avoir confié dans un instant de délire que j’étais marié, reprit le patient.
— Oui. À une femme riche. Vous m’expliquiez pourquoi vous portiez une chemise de qualité.
— Ah oui, cette chemise… Les petites choses de la vie peuvent être traîtresses, n’est-ce pas ? Mais peut-être n’ai-je pas mentionné que je l’ai épousée par amour et par désir de sa personne ?
— Vous avez négligé ce détail, en effet.
— Ce n’était que le début de ma bonne fortune : non seulement je gagnais le cœur de cette femme mais aussi, à mon grand étonnement, une richesse substantielle. Son père était un changeur officiel, qui avait investi dans de nombreuses affaires aussi sérieuses que rentables. Je le savais, mais je savais également qu’il avait un neveu et qu’il l’avait initié à ses affaires. Je pensais que la majeure partie de ses biens lui reviendraient. Je ne m’étais pas rendu compte qu’il pensait en léguer la quasi-totalité à sa fille unique, à la fois par dot et par testament. Il semble qu’il approuvait notre union. Il connaissait l’histoire de ma famille et souhaitait que nous eussions une vie dépourvue de tout souci. Je suis heureux que ce brave homme n’ait pas vécu assez longtemps pour voir où j’en suis réduit.
— Je ne pense pas qu’il aurait des raisons de changer d’avis à votre propos, señor, murmura Isaac. C’était apparemment un homme au jugement sain.
— Maître Isaac, elle est loyale et intelligente autant que riche, et elle m’aime. Nous nous sommes mariés, au grand désespoir des quelques nobles parents qui me restaient, et depuis elle s’occupe de moi et de mes affaires. C’est pour elle que je ne puis mourir.
— Un puissant mobile, señor, mais vous vous rétablissez assez pour susciter l’espoir.
— D’autres choses menacent ma vie en plus de mon corps meurtri. Vous ne connaissez pas toute l’histoire.
— Parlez-moi, señor, nous avons la journée entière.
— Mon épouse – elle s’appelle Johana – m’a suggéré
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