Vengeance pour un mort
et encore plus difficile de les soigner une fois qu’elles se sont installées. Vous m’en voyez désolé.
— Jordi avait été à mes côtés tout au long de mon existence. Nous avions pratiquement le même âge, et nous étions plus amis que maître et serviteur. C’est lui qui dort aujourd’hui dans le caveau de mes ancêtres.
— Mais comment a-t-on pu prendre son corps pour le vôtre ?
— Ma femme l’a ramené à la propriété et a déclaré que c’était moi. Jordi me ressemblait beaucoup, maître Isaac. Nous aurions pu être frères.
— C’est le genre de choses qui arrivent.
— Oui, sauf que dans notre cas, la ressemblance n’est pas entièrement due au hasard. Il était l’enfant d’une esclave musulmane, Felicitat, qui appartenait à mon grand-père. Jordi était son bâtard, donc mon oncle. Dans son testament, mon grand-père affranchissait la mère et l’enfant et donnait une belle dot à Felicitat. Elle s’est convertie et elle a épousé un homme du village, dont elle a eu deux autres enfants. J’ai passé mon enfance avec Jordi, ajouta Arnau. C’était un bon compagnon, un ami, un maître aussi. Nous n’avions qu’un an de différence et Felicitat s’est occupée de nous deux jusqu’à mes huit ans. Et puis mon grand-père est mort, elle s’est mariée, et j’ai été envoyé comme page chez un cousin. J’ai supplié que Jordi m’accompagne, en tant que serviteur personnel, et un an ou deux ans plus tard, il me fut envoyé. Nous sommes restés de proches amis, même après être devenus maître et serviteur.
— Il vous a sauvé la vie.
— À deux reprises, maître Isaac. Une fois la nuit où nous avons été attaqués, et la seconde fois en me remplaçant dans la mort. Il est juste qu’il repose dans le caveau familial, car il était le plus brave des trois fils de mon grand-père.
— Vous ne pouvez revenir à la vie sans risquer une mort immédiate, réfléchit Isaac. C’est là le problème. Dites-moi, Don Arnau, qui est votre ennemi ?
— Mon ennemi ?
— Vous savez que vous en avez un. Qui vous a accusé de faire de la contrebande en temps de guerre ? Qui vous a espionné avec une précision telle qu’il était au courant de votre évasion et qu’il a tenté de vous tuer lors de celle-ci ? Qui a pu découvrir que vous étiez ici, déguisé en marchand juif de Carcassonne ? Qui a envoyé un agent de la Sainte Inquisition visiter cette maison ? Vous avez de la chance que le père Miró soit un homme intelligent et réfléchi.
— J’ai passé d’innombrables heures à me poser ces mêmes questions, maître Isaac, et à concevoir une vengeance.
— La vengeance est un plat bien inutile s’il n’y a personne pour le manger, Don Arnau.
— Quelqu’un a voulu me dépouiller de tout – ceux que j’aime, ma santé et ma force, mes biens, jusqu’à ma vie. Il me semble que j’ai droit à une bonne dose de vengeance, mon excellent médecin.
— Dans ce cas, commencez par recouvrer la santé, conseilla Isaac.
Deux des trois individus habitués à se retrouver près du bosquet s’y rencontrèrent et mirent pied à terre.
— Où est notre compagnon à la capuche ? demanda le petit homme. Je croyais qu’il voulait nous voir. Je dois rentrer en ville. Cela ne m’arrange pas.
— Oui, répondit l’autre, mais lui aussi a des devoirs auxquels il ne peut échapper. Bien plus importants que les tiens, mon ami.
— Il est riche, non ? Qu’a-t-il donc à faire ?
— Même les riches doivent répondre de leurs actes. Quoi qu’il en soit, il m’a dit qu’il aurait besoin de toi ce soir. Tu seras payé et tu pourras agir comme tu le veux.
— Comme je le veux ? répéta le petit homme, pris de panique. Mais pour faire quoi ? Je crains de sortir de la maison qui m’emploie pour me promener dans la rue. Le prêtre sait qui je suis, et il en est d’autres susceptibles de me reconnaître.
— J’ai une idée. Quand nous aurons accompli ce qui doit l’être cette nuit, tu retourneras là d’où tu viens. Notre employeur est généreux, tu ne seras pas dans le besoin. Mais ne te soucie pas du prêtre. Je me suis occupé de lui.
— Comment ?
— De manière définitive. Peu importe à présent s’il te connaissait, ajouta l’homme en arborant un sourire féroce.
— Dieu nous pardonne ! s’écria le petit homme qui se signa et bredouilla une prière. Un prêtre ! Comment as-tu pu faire
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