Vengeance pour un mort
la poitrine et de halètements. Il peut à peine respirer.
— Bien.
— Je dois rentrer prévenir de votre arrivée, dit le messager avant que sa silhouette noire ne se fonde dans la nuit.
Jacob se tourna vers Isaac en titubant et le prit par le bras.
— Ah, mon ami, pardonnez-moi, mais je crois que j’ai bu plus que de raison. Entre les soucis que me cause mon patient et ceux qu’engendre ce mariage… J’ai été ridicule. Hannah ! cria-t-il. Apporte-moi de l’eau.
Une servante arriva en courant avec une cruche et un gobelet. Il but d’une seule traite avant de lui demander de remplir à nouveau le gobelet. Il lui fit ensuite verser de l’eau dans le creux de ses mains et il s’aspergea le visage.
— Voilà qui est mieux. Trouve-moi Abram, c’est un brave garçon. Dis-lui de se rendre chez maître Pere.
— Pourquoi ne me laissez-vous pas m’en occuper ? dit Isaac. Je prendrai Yusuf et un serviteur qui connaît le chemin. J’ai cru comprendre que l’affaire est grave.
— Nullement. Ce messager est un sot. Maître Pere souffre de ces accès de temps à autre. Ils lui sont très désagréables, mais ils ne sont dus qu’à la fatigue et aux préoccupations, et ils se guérissent facilement. Il a eu bien des soucis récemment.
— Qu’allez-vous employer ?
— Vous le savez très bien, mon ami Isaac. C’est de vous que j’en tiens la recette – j’étais jeune homme alors. C’est votre mélange d’herbes destiné à calmer les esprits et à apaiser la douleur, infusé dans de l’eau chaude.
— Vous l’utilisez donc toujours ?
— Oui, et il en a de grandes réserves. Je pense qu’il sera déjà endormi quand Abram arrivera. Chez lui, chacun sait préparer cette infusion. S’il souffre d’autre chose, Abram m’enverra chercher. Quand il le faut, il sait se montrer plein de ressource.
Abram écouta le message chuchoté de la servante puis il se tourna vers Yusuf.
— Je dois y aller. Un des patients de maître Jacob a eu une attaque. C’est un chrétien et un homme important.
Yusuf regarda maître Jacob et Isaac reprendre leurs places à table.
— Ton maître ne se déplace pas ?
— Oh non, maître Pere a régulièrement ce genre d’attaque. Je sais quoi faire. Viens avec moi. On en profitera pour passer par la cuisine et on chipera d’autres gourmandises. À moins que tu préfères rester pour les danses.
— Pour les danses ?
Yusuf se leva.
— On va emmener Mordecai, l’intendant de maître Jacob. Il sera heureux d’échapper à tout ça. Il faut ranger après le départ des invités, et il n’aime pas ça.
Comme Abram se levait, une clameur s’éleva parmi les invités.
— Qu’y a-t-il ? demanda Yusuf.
— Tu n’es donc jamais allé à une noce ? Ils accompagnent la mariée jusqu’à la chambre nuptiale. C’est très distrayant, mais il faut que j’y aille. Tu peux rester si tu veux, ajouta-t-il d’un air sombre.
— Je préfère t’accompagner.
Bonafilla se dissimulait de son mieux derrière son voile léger tandis que David plaisantait avec les amis et les voisins bruyants qui les accompagnaient jusqu’à la maison. Tout se passait dans les règles et chacun se réjouissait. Un jeune marié qui fanfaronne et une jeune mariée timide, voilà ce que les invités voulaient.
— J’ai horreur de ces noces où la mariée se pavane et échange des quolibets avec les musiciens et les invités, dit l’une des femmes.
— On sait pourquoi elles ne sont pas nerveuses, répliqua malicieusement une commère. Mais Bonafilla a l’air plus que nerveuse, non ? On croirait qu’on la conduit au gibet.
— Elle n’a pas sa mère. Peut-être qu’elle ne sait pas exactement à quoi s’attendre. Vous pensez que maîtresse Ruth l’a mise au courant ?
— Ou sa servante. On m’a dit qu’elle avait la sienne propre.
— Elle lui a probablement bourré la tête d’histoires épouvantables. Qui va mettre au lit la mariée ?
— Ruth et sa sœur venue d’Elna, ainsi que Raquel, son amie. Les voilà !
Parmi les cris d’encouragement, les rires gras et les innombrables remarques suggestives, les quatre femmes pénétrèrent dans la maison avant de monter dans la chambre préparée pour la nuit de noces.
À l’intérieur de la maison, le tumulte de la foule se mêla à l’ultime hurlement de dame Johana quand la sage-femme recueillit enfin son fils entre ses mains.
— C’est un beau garçon, madame,
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