Victoria
Singh, sous la tutelle d’un résident britannique, peine à se maintenir dans un pays complexe. On craint que les sikhs ne s’allient avec les Afghans voisins. En 1848, la ville de Multan s’est soulevée. Le général Gough, à la tête de l’armée du Bengale, a subi de graves revers à Chillianwala. Tandis que le général Napier est en route pour le remplacer, il triomphe à Gujerat. La seconde guerre anglo-sikhe se termine par l’annexion du Penjab, désormais placé sous l’administration directe de la Compagnie des Indes orientales.
À l’autre bout du monde, au Canada, les lois de libre-échange ne sont pas favorables aux planteurs. Les tensions s’exacerbent dans la province francophone du Québec. Le gouverneur général Lord Elgin, malmené, mène une politique de conciliation qui, bien que mal vue à Londres, parvient pour l’instant à rétablir l’ordre.
Les affaires du Royaume-Uni ressemblent à ces parties d’échecs multiples que fait le prince Albert avec plusieurs séries de pièces de couleurs différentes sur un très grand échiquier. D’une main experte, Albert règne de fait sur une nation dont Victoria occupe brillamment le trône. Travailleur infatigable, il ne ménage pas sa peine et ne veut négliger aucun domaine. Dans son rôle de prince consort, comme dans les fonctions particulières qui lui sont confiées, il a la ferme intention de n’être pas qu’un simple figurant.
Chancelier de l’université de Cambridge, il entreprend de réformer cette institution aussi complaisante que vénérable. Il estime que les enseignements y sont trop exclusivement centrés sur les mathématiques. La philosophie, la littérature et les sciences sont également indispensables aux avancées d’une nation moderne. Punch , le journal satirique, le représente conquérant le pont aux ânes, comme Napoléon celui d’Arcole. Il est jugé souhaitable que Son Altesse Royale soit aussi le premier chancelier de l’université de la Reine en Irlande, qui fédère les nouveaux collèges.
Victoria et Albert sont l’un comme l’autre dans leur trentième année. Ils forment un couple royal d’autant plus admiré qu’ils savent rester modestes, alliant l’énergie de la jeunesse avec une sagesse et une vertu rarement égalées par des souverains plus âgés. Ils suscitent un sentiment d’approbation, car ils sont comme la promesse vivante que la vieille nation britannique fait enfin voile vers un nouvel âge d’or.
Conscient de ce rayonnement, auquel il travaille assidûment, Albert souhaite galvaniser les forces vives du pays par une grande exposition industrielle. L’idée serait d’organiser, sur une échelle internationale, l’équivalent des foires de Francfort au XVI e siècle. Ce serait, en somme, un grand tournoi de la paix, où les capitaines d’industrie de toutes les nations rivaliseraient dans un esprit aussi chevaleresque que les paladins d’antan.
Quelques expositions pionnières de la Société des Arts ont obtenu des résultats favorables. Au mois de juillet 1849, le prince réunit à Buckingham Palace un cénacle confidentiel pour lancer le projet. L’événement devrait idéalement avoir lieu à Hyde Park, en plein centre de Londres. Il importe avant tout de tester le sentiment des milieux industriels à ce sujet. Toutefois, le nom de Son Altesse Royale ne devra surtout pas être mis en avant. Rien ne choquerait davantage la reine que de voir le nom de son mari utilisé à des fins de « crânerie ».
En Irlande, la visite de la reine est attendue avec une mauvaise humeur peu surprenante. La presse mais aussi certains fonctionnaires de l’administration britannique en Irlande critiquent ce qui, à leurs yeux, est essentiellement une opération de propagande. Les dépenses engagées par le lord-lieutenant pour l’occasion font scandale dans ce pays martyrisé par la famine et la maladie. La récolte de l’année est aussi catastrophique que les précédentes. Plutôt que de promener Sa Majesté dans les lieux touristiques, on ferait mieux de lui montrer les paysans qui meurent de faim dans des taudis, les pauvres qui s’entassent dans les hospices. L’ Evening Mail ironise, suggérant de cacher les façades délabrées de Dublin avec des rideaux et des pots de fleurs et de remplacer, dans les rues où elle passera, les miséreux en haillons par des figurants bien nippés. Des rumeurs se propagent : une insurrection se prépare, un complot se
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