Victoria
l’auteur, Aberdeen désigne l’actuel chancelier de l’Échiquier, William Gladstone. Enfin, même le très radical Morning Adviser finit par se calmer.
Greville est convaincu que cette scandaleuse affaire a été principalement orchestrée par Palmerston : le Morning Post est notoirement acquis à sa cause. Palmerston avait tout intérêt à ce que son principal adversaire fût ainsi disqualifié dans l’opinion au moment où lui-même faisait pression sur le gouvernement de coalition en jouant de sa démission. Les esprits étant déjà surchauffés par la guerre imminente, le feu s’est propagé avec une ampleur qui a vraisemblablement dépassé les espérances de l’ambitieux ministre de l’Intérieur.
D’autres encore accusent les agents de Napoléon III, lequel a tout intérêt à ce que l’Angleterre ne soit pas une alliée trop tiède contre le tsar. La France a également tout à gagner à affaiblir le penchant de l’Angleterre pour l’Allemagne.
Quoi qu’il en soit, le mal est fait : l’influence et l’assurance du prince Albert sont sérieusement entamées, le poids politique de la Couronne s’en trouve réduit d’autant. Les bellicistes ont d’ores et déjà partie gagnée.
Le parti de la guerre rassemble plusieurs tendances. Il s’y trouve d’abord une vieille garde de tories nationalistes, adversaires d’Albert depuis toujours et jaloux du succès de la Grande Exposition. Ils s’accordent sur ce point avec les radicaux, qui oublient leur pacifisme dès lors qu’il s’agit de combattre le tyran russe et de conspuer la royauté. Cimentant opportunément ces deux tendances, Palmerston et ses partisans whigs jouent un rôle clé.
Face à cette armada composite mais massive, le parti de la paix ne pèse pas lourd. Ce sont essentiellement des libre-échangistes, anciens partisans de Sir Robert Peel du côté des conservateurs libéraux, amis de Richard Cobden dans la famille des whigs. Le prince Albert est leur champion. Il vient de constater, s’il ne s’en doutait déjà, que la guerre et la politique ne s’embarrassent pas de fair-play.
Les circonstances érodent la santé d’Albert. Depuis son arrivée en Angleterre, l’opinion publique l’adule et l’exècre tour à tour. Décrié à l’envi quand il préparait la Grande Exposition, encensé à outrance devant l’ampleur de son succès, il a été voué à la tour de Londres pour haute trahison et réhabilité le lendemain comme le plus loyal et le plus méritant des princes. L’Angleterre passe sur lui ses humeurs chaudes et froides.
Le prince souffre de catarrhe, un rhume chronique, qui ne le quitte pas depuis l’été précédent, lorsqu’il est allé passer quelques jours avec les Horse Guards, au camp d’entraînement de Chobham. L’angoisse lui cause des maux d’estomac. Il passe de longues nuits à travailler, sous sa lampe de bureau verte. Une violente névralgie dans l’épaule droite lui est une torture continue, l’empêchant parfois d’écrire.
« La guerre, je le crains, est tout à fait inévitable, écrit Victoria au roi des Belges. Vous aurez vu que l’empereur Nicolas n’a pas répondu favorablement à notre frère Napoléon (ce qui, me dit-on, l’a extrêmement déçu, car il en attendait de grands résultats). »
Napoléon III a en effet écrit personnellement à Nicolas I er , faisant appel à ses sentiments pacifiques et proposant d’évacuer les principautés, en échange du retrait des flottes française et britannique.
« Ma confiance est en Dieu et en mon droit, lui a répondu le tsar, et la Russie, j’en suis garant, saura se montrer en 1854 ce qu’elle fut en 1812. »
Pareil défi est sans appel. Victoria espère encore que, si la Prusse et l’Autriche rejoignent la Grande-Bretagne et la France, la guerre sera de courte durée. Malheureusement, le roi de Prusse est soucieux de ménager son puissant voisin.
« La prépondérance de la Russie doit être brisée ! lui répond-il. Eh bien, étant son voisin, je n’ai jamais senti cette prépondérance, et n’y ai jamais cédé. Souffrez que je pose la question : la loi de Dieu justifie-t-elle la guerre pour une idée ? »
Il la conjure de reconsidérer les exigences de la Russie, lui promettant que, si les puissances occidentales font au tsar un « pont d’or » pour sauver son honneur, il le franchira.
« Mon peuple et moi-même sommes d’un même avis. Il exige de moi une absolue neutralité. Il
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