Victoria
de ce qui lui est arrivé. Ces scènes qui l’épuisent sont hélas monnaie courante : il ne se passe guère une semaine sans qu’une contrariété, insignifiante en apparence, ne lui fasse de nouveau perdre son sang-froid.
Elle peut difficilement supporter de vivre sans Albert plus de quelques heures. Ses emportements contre lui sont à la mesure de son attachement.
« Il semble, lui écrit encore Albert, que l’appréhension que tu puisses être tenue pour responsable des souffrances, peut-être de la mauvaise santé du bébé est la cause réelle de ta détresse qui a éclaté à propos de l’inventaire des gravures. »
Car les médecins ont diagnostiqué que le prince Léopold est hémophile. Des blessures, pour tout un chacun bénignes, en provoquant des saignements internes risquent de lui être fatales.
Victoria ressent comme une injustice le fait que les femmes doivent payer les plaisirs de l’amour par des grossesses successives. Ce sentiment lui-même lui paraît encore plus odieux que sa cause. Elle aime le sexe, mais déteste la maternité. Elle éprouve alors une espèce de dégoût d’elle-même et de ses propres enfants quand ils ne sont que des nourrissons et « gigotent comme des grenouilles » plus qu’ils ne ressemblent à des êtres humains.
Bertie, le prince de Galles, aura bientôt 12 ans. En retard sur les enfants de son âge, il a décidément fort peu de dispositions pour l’étude. Victoria est aussi inquiète qu’Albert à la pensée du piètre monarque qu’il ferait. Vicky, par contre, si elle est bien aussi têtue que son frère, semble une miniature d’Albert au féminin. Elle a déjà les manières et la conversation d’une fille de 20 ans.
Pour Victoria, les devoirs de la souveraine priment sur ceux de la mère de famille. Le dilemme est double. Elle qui se veut reine avant tout, ne règne que dans le sillage d’Albert. Mais d’autre part, le pouvoir se divise à l’envi entre des ministres sans cesse renouvelés, un Parlement querelleur, une opinion volage, un concert des nations aux dissonances nombreuses.
Elle se sent souvent affreusement seule. La mort de Wellington, si peu de temps après celle de Peel, l’a ébranlée. Albert n’est plus tout à fait le prince charmant qu’elle a épousé. C’est un homme déjà bedonnant et chauve, que le surmenage et les soucis vieillissent prématurément.
Albert est un parangon de vertu et de raison, de bonne volonté et de dévouement. Il œuvre avec conviction pour la paix et la prospérité. Pourtant, le monde glisse sur la pente de sa perte avec une consternante obstination. Les malheurs paraissent aussi inexorables que des intempéries. Le plus éclairé des princes n’y peut rien : voilà de quoi il est coupable.
La grande attraction de la saison londonienne de 1853 est le camp militaire expérimental de Chobham, dans le Sussex. Sur les bords de la Bourne, les tentes coniques sont nettement alignées à flanc de coteaux. Des régiments déployés dans la plaine vallonnée se livrent quotidiennement à des simulacres de batailles. Les jeunes gens de bonne famille qui viennent s’illustrer ici sont les héros du moment.
Victoria assiste au spectacle en compagnie d’Albert, du roi de Hanovre et du duc de Cobourg. Elle monte un splendide destrier noir, vêtue d’une vareuse à fourragère et coiffée d’un chapeau à plume. Elle est suivie d’un public nombreux de gentlemen en grande tenue et de dames en robes élégantes.
La scène est grandiose. Sous le soleil d’été, les troupes aux tenues impeccables manœuvrent à la perfection. Les cuirassiers rutilants chargent, sabres au clair et crinières au vent. Partout s’élèvent les panaches de fumée des canons et des fusils tirant à blanc.
C’est comme une version moderne et réussie du tournoi d’Eglinton de 1839. Les uniformes contemporains et les armements les plus récents ont remplacé les lances et les armures. Sous le glorieux soleil estival, l’art de la guerre offre le grisant spectacle d’un sport collectif aux engagements nobles et virils.
À Constantinople, Stratford de Redcliffe, sous couvert de conciliation, contrarie les intérêts russes. Le grand vizir se tourne vers le colonel Rose, chargé d’affaires britannique, qui demande à l’amiral Dundas d’envoyer la Navy dans les Dardanelles. Le gouvernement s’y oppose, mais Napoléon III saisit l’occasion de s’imposer sur la scène internationale et ordonne
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