Victoria
soit parfaite, Victoria intronise Napoléon III dans l’ordre de la Jarretière. Manifestement ému, il tient à la reine un discours dont elle mémorise soigneusement chaque mot.
« C’est un lien de plus entre nous, j’ai prêté serment de fidélité à Votre Majesté et je le garderai soigneusement. C’est un grand événement pour moi, et j’espère pouvoir prouver ma reconnaissance envers Votre Majesté et son pays. »
Avant de repartir, Napoléon III tient à lire devant Victoria et Albert l’allocution qu’il souhaite prononcer lors de sa réception par le maire de Londres au Guildhall, pour qu’ils corrigent sa prononciation. Victoria estime que son anglais est excellent et qu’il fait très peu de fautes. Ce bref séjour aura été une entreprise de charme réussie de part et d’autre. Aucune ombre n’est venue assombrir le brillant tableau, si ce n’est la mésaventure de cet homme en tenue d’ouvrier qui courait à côté de la voiture de l’empereur, une main sur la portière. Le capitaine des Horse Guards lui a transpercé le chapeau d’un coup de sabre avant qu’on ait pu l’avertir qu’il s’agissait d’un policier français.
Palmerston a parié que le désir qu’avait Napoléon de partir chercher lui-même la gloire en Crimée était une soif de reconnaissance que les fastes de la monarchie britannique sont justement faits pour assouvir. En resserrant ainsi très publiquement leurs liens, les deux grandes puissances alliées repoussent le coin que la Russie voudrait enfoncer entre elles. Le tsar Alexandre II fait écrire par Nesselrode des lettres à son gendre le baron Seebach, ambassadeur de Saxe à Paris, sachant qu’elles viendront aux yeux de l’empereur. Napoléon III les montre à Victoria et se dit favorable à quelque adoucissement des conditions proposées aux Russes pour sortir du conflit.
« Entre la France et la Russie, écrit Alexandre, il y a guerre sans hostilité. La paix se fera quand l’empereur le voudra. »
À Victoria, cependant, Napoléon III chuchotait avant de quitter Londres, dans une syntaxe quelque peu contaminée par son amour de la langue anglaise : « Je n’ose pas le dire tout haut, mais j’avoue que j’ai bien peur que l’on fasse la paix avant que l’on ait pris Sébastopol et qu’alors les deux armées se trouveront dans une position fâcheuse. »
Tandis que les troupes de Victor-Emmanuel II arrivent en Crimée, la guerre semble enfin devoir prendre une tournure favorable aux alliés. Les opinions publiques, de part et d’autre de la Manche, ont oublié pour un temps leur méfiance réciproque. L’empereur et la reine échangent d’affectueuses lettres de château.
« J’ai rencontré à mon retour à Paris, écrit l’empereur, bien des difficultés diplomatiques et bien d’autres intervenants au sujet de mon voyage en Crimée. Je dirai en confidence à Votre Majesté que ma résolution de voyage s’en trouve presque ébranlée. En France, tous ceux qui possèdent sont bien peu courageux ! Votre Majesté voudra bien me rappeler au souvenir de sa charmante famille et me permettre de lui renouveler 1’assurance de ma respectueuse amitié et de mon tendre attachement. De Votre Majesté, le bon Frère, NAPOLÉON . »
« J’avoue, lui répond Victoria en français, que la nouvelle de la possibilité de 1’abandon de votre voyage en Crimée m’a bien tranquillisée, parce qu’il y avait bien des causes d’alarmes en vous voyant partir si loin et exposé à tant de dangers. Bien que l’absence de Votre Majesté en Crimée soit toujours une grande perte pour les opérations vigoureuses dont nous sommes convenus, j’espère que leur exécution n’en sera pas moins vivement poussée par nos deux gouvernements. Le Prince me charge de vous offrir ses plus affectueux hommages, et nos enfants, qui sont bien flattés de votre gracieux souvenir, et qui parlent beaucoup de votre visite, se mettent à vos pieds. Avec tous les sentiments de sincère amitié et de haute estime, je me dis, Sire et cher Frère, de V. M. I. la bien bonne Sœur, VICTORIA R . »
Soucieuse, néanmoins, de laisser à la postérité le témoignage de ses intimes convictions, Victoria les couche sur le papier, après avoir sagement attendu quelques jours pour que s’apaise le feu de l’action.
« Mémorandum de la reine Victoria, Buckingham Palace, 2 mai 1855. La récente visite de l’empereur Napoléon III dans ce pays est une
Weitere Kostenlose Bücher