Victoria
du championnat national de tir. Près de vingt-cinq mille visiteurs en six jours ont permis à l’association de rassembler 2 000 livres sterling.
Quelques semaines plus tard, à Édimbourg, Victoria passe en revue les volontaires écossais. Le programme est le même qu’à Hyde Park le mois précédent. Dans Queen’s Park et sur la plaine de Holyrood, les régiments parfaitement alignés à perte de vue paraissent encore plus spectaculaires. La capitale écossaise offre un pittoresque arrière-plan à ce tableau martial. Le redoutable château, la cathédrale Saint-Gilles, sur Calton Hill les colonnades du monument national et la tour de Nelson se détachent sur un ciel agité. Les collines environnantes sont recouvertes par la foule innombrable que ce puissant spectacle magnétise. Roulements répétés de tambours, cornemuses miaulant des marches lancinantes : on dirait un champ de bataille où des armées en manœuvre vont d’un instant à l’autre engager le combat.
Le 24 juillet 1860, une « petite dame » est née sans encombre à Berlin. Ses parents ne sont pas encore tout à fait sûrs de la nommer Charlotte. Vicky envoie à Victoria une mèche de cheveux de l’enfant. « Les petites filles, lui écrit la reine, sont toujours beaucoup plus jolies et plus mignonnes (Arthur seul faisant exception). »
Bertie a 18 ans, l’âge de la majorité pour un prince. Il part pour une grande visite officielle au Canada, puis aux États-Unis, où il sera reçu par le président Buchanan. Il est compréhensible que le prince de Galles recherche la notoriété. À l’inverse, ses parents aspirent à se libérer un peu de la leur, au moins pour le temps des vacances. Incognito, ils se promènent en Écosse, roulant dans une simple calèche, dormant dans des auberges, se faisant passer pour « Lord et Lady Churchill et leurs amis ». Lady Jane Churchill, dame de compagnie de la reine, a repris pour l’occasion son nom de jeune fille : Miss Spencer. Le général Albert Grey, Earl Grey, secrétaire particulier du prince consort, devient le Dr Grey.
Les deux serviteurs écossais, Brown et Grant, conduisent chacun une voiture. Ils sont souvent « timides », ce qui dans leur parlure calédonienne signifie qu’ils ont en général plusieurs rasades de whisky derrière la cravate. Si bien qu’ils s’endorment comme des bûches le soir, laissant leurs maîtres aux mains des aubergistes. Parfois, ils oublient la consigne et lâchent un « Votre Majesté » à Victoria, un « Votre Altesse Royale » à Albert, que « Lord et Lady Churchill » feignent de prendre pour une plaisanterie, riant aux éclats pour donner le change. Victoria les apprécie beaucoup, tout particulièrement John Brown qui, aux heures où il n’a pas encore définitivement roulé sous la table, ne vit que pour la servir avec une prévenance absolue. Outre la solitude brumeuse de ces campagnes au sublime pluvieux, au plaisir du tourisme s’ajoute celui des repas rustiques.
« Soupe, hochepot, bouillon de mouton aux légumes, que je n’ai pas beaucoup aimé, volaille en sauce blanche, bon rôti de mouton, très bonnes pommes de terre, plus un ou deux autres plats que je n’ai pas goûtés, et pour finir une bonne tarte aux airelles. »
À la fin du repas, la tenancière débarrasse la table, ôte la nappe, et rapporte la bouteille de vin et les verres, « selon la vieille coutume anglaise ». Le soir, Victoria écrit son journal, comme tous les jours depuis l’âge de treize ans. Elle se souvient encore du premier cahier à couverture mouchetée et reliure de cuir qui lui avait été donné à l’occasion d’un voyage au pays de Galles. La baronne Lehzen et sa mère, la duchesse de Kent, lisaient alors chacune de ses pages. Elle ne s’est jamais interrompue, sauf pendant quelques semaines, lorsqu’elle était si malade et si malheureuse, à Ramsgate, en 1835. La rédaction d’un journal intime est une sorte d’hygiène mentale, nécessaire à la bonne maîtrise de soi, qui permet en se relisant d’apprécier les progrès effectués dans l’accomplissement de son destin. Victoria aime écrire et l’Écosse l’inspire tout particulièrement.
Comme toujours en revenant à Londres, Victoria regrette l’Écosse. Cette année, Albert aussi a le mal du pays, et souhaite revoir Cobourg. La duchesse douairière Marie de Wurtemberg y est au plus mal. Elle est la seconde femme, et aussi la nièce, du père
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