Victoria
rallier Gravesend.
Pendant ce temps, Bertie a connu un triomphe en Amérique du Nord. Le dossier de coupures de presse que ses parents trouvent en rentrant atteste de l’enthousiasme « impossible à exagérer », dit le colonel Bruce, avec lequel il a été reçu. Au Canada, il représentait un peu la reine que les Canadiens avaient invitée à leur rendre visite après leur participation à la guerre de Crimée, la pressant de nommer un des princes gouverneur général de la colonie. Bertie a inauguré un pont de chemin de fer sur le Saint-Laurent à Montréal, et posé la première pierre du Parlement fédéral à Ottawa. Dans la ville de Halifax, le peuple en liesse l’a bombardé de fleurs au point d’en remplir la voiture à ras bord.
Répondant à l’invitation du président Buchanan, il s’est ensuite lancé dans une longue tournée aux États-Unis. On lui a d’abord conseillé de voyager sous l’anonymat de son titre écossais de « baron Renfrew », par égard pour les sentiments républicains des Américains. En effet, les tensions de la guerre de Crimée n’ont-elles pas entraîné la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays pendant l’année précédente ? Balivernes ! Ce jeune prince modeste et spontané, que l’on a pu voir se découvrir devant la tombe de George Washington qui avait arraché l’indépendance à son grand-père George III, a instantanément conquis le cœur des Américains. Sa gaieté, sa simplicité, sa façon très naturelle d’apprécier la compagnie des jolies femmes ont emporté l’adhésion de tous. Car, selon le New York Herald , il a « le cœur vif et léger d’un tempérament ardent, et un esprit authentiquement démocratique ». Dans toutes les grandes villes américaines où il est passé, il a été fêté avec une égale chaleur. Il serait surprenant, lui a-t-on dit, qu’on le laisse quitter le pays sans lui avoir demandé de se présenter à la prochaine élection présidentielle.
Rien, ou presque, ne pourrait faire davantage plaisir à Victoria que cette lettre de compliments que lui adresse le président Buchanan. Il vante les mérites du prince de Galles pour la façon dont il s’est montré « toujours digne, toujours franc, toujours affable, se conciliant ainsi en tous lieux la bienveillance et le respect d’un peuple sensible et exigeant ».
« Si en tant que mère, lui répond la reine, je suis très reconnaissante de la gentillesse qui lui a été témoignée, je me sens tenue de dire, en même temps, combien j’ai été profondément touchée par les nombreuses démonstrations d’affection envers moi personnellement, que sa présence a suscitées. »
En quelques semaines, Victoria retrouve la santé et surmonte son refroidissement. Albert n’a pas cette chance. Il souffre de crampes d’estomac et de maux de ventre qui l’empêchent de travailler. Il craint d’avoir attrapé le « choléra anglais ». Dans le même temps, la mauvaise humeur des journaux ne fait rien pour lui remonter le moral. La presse, qui au début de l’année, au moment du traité de libre-échange avec la France, avait miraculeusement cessé de pester contre les Français et leur empereur, se retourne maintenant contre les Prussiens. Les prétextes les plus futiles sont montés en épingle, et le moindre incident peut prendre des proportions déraisonnables. Par exemple, un certain capitaine MacDonald s’est fait jeter en prison à Bonn après une altercation pour une histoire de place dans le train. Il suffit qu’un procureur allemand parle de l’arrogance des voyageurs anglais pour que les journaux britanniques s’emportent et cassent du Prussien à n’en plus finir. Ces billevesées pourraient passer pour inconséquentes, si elles n’étaient accompagnées de signes plus inquiétants.
Car cette tendance générale s’agrémente aussi d’attaques ciblées contre Albert et ses origines germaniques, dont il eût espéré qu’elles appartinssent désormais au passé. De nouveau, on lui reproche de converser en allemand avec la reine devant des tiers. Le lien est tout naturellement établi avec son antipathie pour Napoléon III, et l’obstination avec laquelle Victoria et lui se sont opposés à toute idée d’alliance avec la France sur la question italienne. Cela ressemble fort à une campagne de presse, dont les motivations politiques se devinent assez aisément. Il y a certaines similitudes avec ce qui s’était
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