Victoria
passé en 1853, lorsqu’il tentait d’enrayer le basculement du pays dans la guerre de Crimée. On était allé jusqu’à écrire que le prince Albert était convaincu d’espionnage à la solde des Russes, au point que la foule attendait son incarcération à la tour de Londres d’un instant à l’autre. Le rôle qu’avaient alors joué Palmerston et ses amis ne laisse guère de doute. Il ne serait pas impossible que le Premier ministre ait aussi quelque chose à voir dans la campagne actuelle.
Quoi qu’il en soit, Albert se doit de tenir bon, en dépit de sa mauvaise santé. La situation se complique encore du fait que l’impératrice Eugénie réside en ce moment à l’hôtel Claridge de Londres. Fâchée des infidélités de son époux, elle projette un long voyage en Écosse. Dans l’immédiat, elle demande à être reçue en privé par Victoria. Étant donné les circonstances, il vaudrait sans doute mieux éviter soigneusement toute allusion à la politique.
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Le 10 février 1861, Victoria et Albert célèbrent leur vingt et unième anniversaire de mariage. Pour la reine, cette date symbolique marque le véritable début de l’année. Un clair soleil d’hiver, illuminant de ses rayons obliques les journées brèves, fait scintiller les vitres givrées du château de Windsor. Les enfants patinent sur le lac de Virginia Waters et jouent au hockey sur glace. Le prince consort se plaint constamment de maux d’estomac et de dents, d’une épouvantable névralgie faciale, qui l’empêchent aussi bien de dormir que de travailler. Refusant de s’inquiéter outre mesure, la reine trouve qu’il s’écoute trop, comme la plupart des hommes.
« Papa, écrit-elle à Vicky, ne veut jamais admettre qu’il va mieux, mais il prend un air si navré que tout le monde croit toujours qu’il est très malade. C’est tout le contraire dans mon cas : je ne le montre jamais, de sorte que les gens ne pensent jamais que je suis malade ou que je souffre. Son système nerveux est aisément excité, irrité, et il se laisse totalement submerger. »
Depuis la disparition de Frédéric-Guillaume IV, le 2 janvier, son frère Guillaume I er lui a succédé. Frédéric-Guillaume devient le prince héritier du trône et Vicky la Kronprinzessin de Prusse. Cette avancée vers le pouvoir n’améliore pas sa situation, bien au contraire. Le roi refuse d’accroître les revenus de Fritz et Vicky, contraignant cette dernière à utiliser sa dot pour subvenir à ses propres besoins. De toute évidence, la cour de Berlin voit d’un mauvais œil l’intimité de ses rapports avec ses parents. Guillaume n’apprécie guère les amicales exhortations que lui adresse le prince Albert qui l’encourage à s’appuyer sur la Constitution prussienne pour accomplir l’unité de l’Allemagne sur des principes libéraux. En privé, Albert ne cache pas son ressentiment à l’égard de Napoléon III. À ses yeux, les ambitions territoriales de l’empereur sur la rive gauche du Rhin inquiètent la Prusse et favorisent les idées de Bismarck.
Lord Cowley, l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris, rédige des comptes rendus préoccupants sur les plans maritimes de Napoléon III. Certaines photographies, comme celle du premier cuirassé de haute mer Gloire , contribuent à imposer l’urgence d’un effort d’armement. Victoria presse Palmerston de lui établir un rapport complet sur l’état des forces navales et les mesures prises pour pallier leurs déficiences.
« Nous devons être supérieurs en nombre aux Français et grandement supérieurs par notre situation générale, si nous ne voulons pas être exposés à des désastres. »
Ces difficultés, ces soucis incessants pèsent sur Albert, diminué par son mauvais état de santé, et contribuent à le déprimer. Les chocs émotionnels et les nouvelles responsabilités pleuvent sur lui sans discontinuer. En janvier, le Dr William Baly, spécialiste du choléra et des fièvres gastriques, depuis peu médecin extraordinaire de la reine, a été tué dans un accident de train. En février, c’est la disparition soudaine de Sir George Cowper, contrôleur de la maison de la duchesse de Kent : Albert le remplace lui-même à ce poste.
La proximité de la maladie et de la mort met les nerfs de Victoria à rude épreuve. Elle s’emporte régulièrement, accable Albert de récriminations qu’elle regrette ensuite, se reprochant ses propos injustes et son manque de
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