Victoria
maîtrise de soi. Son sentiment de culpabilité est accru par la santé déclinante de sa mère. À 75 ans, la duchesse de Kent souffre d’érysipèle, une affection cutanée que les médecins ne parviennent pas à soigner. Son bras droit, très enflé, est devenu si douloureux qu’il a fallu l’opérer.
Le 15 mars, Albert lui a rendu visite. Il est revenu en pleurs. Victoria se précipite à la maison de Frogmore, qu’elle a cédée à la duchesse en 1840, l’année de son mariage, pour qu’elle y réside à l’écart du palais. Victoire allongée sur un divan, son bras malade bandé, respirant lourdement. La reine s’agenouille auprès d’elle, prend sa main gauche et la serre contre sa joue. La duchesse ouvre les yeux, la regarde sans paraître la reconnaître et la repousse. Victoria sort de la chambre pour pleurer.
« La fin sera douce », lui disent les médecins.
Elle reste à Frogmore, sans pouvoir trouver le sommeil. À 4 heures du matin, elle retourne au chevet de sa mère. Assise sur un sofa au pied du lit, elle écoute le tic-tac de la vieille pendule en écaille de tortue qui avait appartenu à son père, et qui sonne les quarts d’heure, perpétuellement sans doute depuis cette époque lointaine. Les souvenirs de son enfance lui reviennent : Kensington, Claremont, Ramsgate, et tous ces épisodes douloureux depuis longtemps refoulés. Angoissée, elle remonte dans sa chambre et s’allonge un moment. Vers 8 heures, Albert vient la chercher, mais elle ne veut pas s’éloigner de Frogmore. La mourante ne reprend pas conscience. Sa respiration ralentit de plus en plus, puis cesse tout à fait. L’antique horloge sonne 9 h 30.
« La terrible calamité tant redoutée s’est abattue sur nous, et semble comme un effroyable rêve. Ô Dieu ! Quel effroi ! Quel mystère ! Les pleurs ininterrompus sont un réconfort et un soulagement. Mais, oh ! Quelle souffrance ! »
Pendant trois semaines, la reine demeure recluse dans ses appartements à Windsor, prenant ses repas seule, ne sortant que pour aller à Frogmore se recueillir dans la chambre désormais vide où la duchesse de Kent a vécu. En triant les papiers de sa mère, elle est saisie par la sincérité des témoignages d’affection entre ses parents, Victoire de Leiningen et Edward de Kent. « Je n’avais jamais réalisé que c’était à ce point . » De même, elle est bouleversée de voir tout l’amour que la duchesse lui portait. Ces cahiers où sa mère a tendrement noté les moindres détails de son enfance l’émeuvent à l’extrême. Les remords qu’elle éprouve, en se rappelant leur mésentente durable, se transforment en ressentiment contre Conroy et Lehzen, sur qui elle rejette toute la faute.
« C’est mal , c’est choquant, que Lehzen ait pu être sotte, pour ne pas dire plus, au point de confondre son antipathie (juste, je crois) pour Sir John avec mon amour et mon affection pour ma très chère Maman. »
Heureusement, Albert les avait un peu réconciliées, et depuis lors « chaque nouvelle année qui s’écoulait semblait rapprocher un peu plus de moi ma Maman adorée ». Aujourd’hui encore, Victoria, anéantie par le deuil, se repose davantage sur Albert, seul exécuteur testamentaire de la duchesse de Kent, dont tous les biens reviennent à la Couronne.
Dans son isolement volontaire, il arrive que la reine doute de ses sentiments et de ceux de sa mère à son égard. Chérissait-elle la petite fille ou l’héritière du trône ? « Je ne crois pas que Maman m’ait jamais réellement aimée. » Elle se sent abandonnée. Les semaines passent sans que Victoria veuille voir personne. Elle ne supporte pas la présence de ses enfants. Seule, Béatrice peut encore l’approcher. À 4 ans, la petite allie une gentillesse naturelle avec un caractère affirmé.
« Bébé ne doit plus en prendre, ce n’est pas bon pour Bébé.
— Mais elle aime ça, ma chère, répond Bébé en reprenant tout de même des chocolats.
— Tu es très mal élevée.
— Non, ce n’est pas vrai. Bébé est une petite fille. »
Le Kronprinz et la Kronprizessin de Prusse leur rendent brièvement visite. La tristesse du deuil est allégée par l’évocation du parti que Vicky a trouvé pour le prince de Galles. Il s’agit de la princesse Alexandra du Danemark. À en juger par les photos et ce que l’on dit de son caractère, cette merveilleuse enfant de 16 ans a tout pour plaire. « La princesse
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