Victoria
d’avoir tenu à réduire les fastes de son couronnement par mesure d’économie, il en est d’autres pour mépriser ce « demi-couronnement » qui a eu lieu en septembre 1831. Quoi qu’il en soit, Mme de Kent n’apprécie pas que le souverain ait fait voter des fonds propres pour sa fille et non pour elle-même. Elle n’admet pas davantage que le roi refuse à la princesse préséance, dans la procession, sur les ducs de Cumberland, de Sussex et de Cambridge. Victoria n’assistera donc pas à la cérémonie.
Si Victoria pleure, ce sont des larmes de réprobation et d’impuissance. Rien ni personne ne parvient à la consoler, pas même ses poupées. Le Times , indigné, publie une caricature de la duchesse de Kent, Victoria pleurant sur son épaule : « Celle qui ignore le respect dû à la Couronne n’est pas apte à former l’esprit, ni à diriger l’éducation, de l’enfant qui est destinée à la porter. »
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Sur le Solent, le bras de mer séparant l’île de Wight de l’Angleterre, Victoria croise à bord du yacht royal Emerald , petit voilier de 51 canons, annexe du Royal George . Les couleurs sont celles de l’étendard royal. Des quatre quartiers, le premier et le quatrième sont écarlates, aux trois léopards lionnés d’or passants du roi Richard, qui est Angleterre. Le deuxième est or, au lion de gueules rampant rouge à double trescheur fleuronné de Guillaume le Conquérant, qui est Écosse. Le troisième est d’azur, à la harpe d’or cordée d’argent, qui est Irlande. Chaque fois que cette héraldique paraît dans la longue-vue de leurs officiers, les navires de la Royal Navy, qui dans ces eaux sont nombreux, saluent le bâtiment royal en tonnant du canon. Un panache de fumée fleurit à leur flanc.
La jeune princesse qui bientôt régnera fait davantage rêver le pays que le vieux roi balourd et son épouse terne. Mme de Kent et son intendant l’ont fort bien compris. Ils ont entrepris de faire connaître Victoria à l’Angleterre. À l’automne dernier, elle a inauguré, à Bath, le Parc royal, puis, près de Malvern, une route, qui tous deux porteront son nom. À Kensington se multiplient les dîners de gala dont l’héritière présomptive est l’attraction principale. Elle descend majestueusement les escaliers, la baronne Lehzen la tenant par la main. On lui présente des personnalités, comme Sir Robert Peel ou Lord Palmerston, dont elle n’oubliera pas les visages.
Dans le contexte de la loi de réforme électorale, que le Parlement adopte enfin au mois de mai 1832, cette campagne publicitaire prend un tour politique. Les amis d’Edward de Kent, qui autrefois lui avaient apporté leur soutien pour que sa fille naisse en Angleterre, voient tout l’avantage qu’ils peuvent tirer de cette icône virginale. Pour certains barons du parti whig, les chamailleries de la duchesse de Kent avec Guillaume IV et les conservateurs au pouvoir sont pain bénit.
Ainsi peut-on rencontrer, parmi les personnalités invitées à Kensington, Lord Durham qui fut, avec Lord John Russel, l’un des rédacteurs de la loi de réforme. Autre membre éminent de cette coterie, Lord Dover, esprit libéral et cultivé, fondateur de la National Gallery, conseille Mme de Kent avec une finesse qu’elle serait bien en peine de trouver chez John Conroy. Atout capital de leur stratégie de propagande, Victoria devient un emblème de la classe moyenne bourgeoise, qui accède au pouvoir par l’élargissement du suffrage.
Image symbolique de l’avenir du royaume, elle est aussi la promesse vivante que le souverain de demain aura la pureté de cœur d’une jeune fille. La princesse personnifie l’espoir d’une monarchie parlementaire bienveillante et aimée de tous, garante de la pérennité des institutions britanniques. Son nom lui-même cristallise la fierté nationale. Future reine vierge, elle suscite le rêve que son règne pourrait bien être un nouvel âge d’or, à l’égal de celui d’Elizabeth I re .
Encore faut-il, pour que cette fièvre dure, que Victoria demeure au-dessus des partis. Il convient qu’elle se distingue de la vieille aristocratie périmée des tories. Il est bon que son image soit associée à une réforme qui se veut démocratique. Pour autant, il vaudrait mieux qu’elle ne paraisse pas inféodée aux whigs.
Soucieuse de prévenir toute allégation de cet ordre, Mme de Kent appelle auprès d’elle une nouvelle dame de compagnie, Lady Flora
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