Vidocq - le Napoléon de la Police
trouve rue des
Déchargeurs, près des Halles. Il a des correspondants dans tous les quartiers
et deux cents boîtes sont réparties dans la ville. Vêtus d’un uniforme, ils
portent neuf fois par jour, les lettres à l’intérieur de Paris et deux fois par
jour en banlieue.
La diligence d’Arras entre dans la
cour pavée d’une calme auberge. Un des voyageurs, le plus bavard, semble avoir
pris Vidocq en amitié :
« Vous ne serez jamais mieux
qu’ici, à l’hôtel du Gaillard de bois, la rue de l’Échelle où nous sommes, est
au centre de la ville, tout près du fameux Palais-Royal.
— Je comptais plutôt me rendre
dans une petite ville des environs.
— Sornettes, vous êtes au cœur
de Paris et à dix-neuf ans, vous ne voudriez pas aller voir ! À votre âge,
j’étais autrement curieux et gaillard.
— Qu’est-ce que vous croyez, je
ne vous céderai sur rien.
— Voilà qui est parlé.
D’ailleurs, vous n’aurez même pas besoin de louer une lanterne pour vous y
rendre. Je dois ce soir rencontrer des amis qui vont faire une partie dans un
cercle, accompagnez-moi et vous jugerez. »
Effectivement le Palais-Royal n’est
qu’à une rue de là. Dès qu’il pénètre sous une arcade, Vidocq comprend pourquoi
cet endroit est si apprécié. Il est propre, fermé sur un grand jardin semé de
kiosques, où sont présentées des attractions. Partout des groupes se promènent,
des amis s’interpellent, des couples enlacés dansent sous les lampions
accrochés aux basses branches des arbres. De jolies femmes sourient au passant
solitaire, tournoient sur elles-mêmes en maniant avec une grâce féline leur
éventail près de leur décolleté :
« Ce sont des demi-castors.
Venez, je vais vous présenter un vrai castor. Rosine. »
Une superbe blonde qui admirait une
série de bracelets en brillants, à la vitrine d’un bijoutier, se retourne. Elle
s’approche des deux hommes et tend sa main à baiser à Vidocq. Son parfum musqué
et son sourire plein de promesses séduisent le jeune homme. Leur ami propose à
la belle de les accompagner. Autour d’eux, les restaurants affichent des menus
appétissants. Ils invitent la délicieuse créature à partager leur souper.
Arrivés aux liqueurs, une lueur de plaisir dans les prunelles, Rosine
propose : « Il est trop tôt pour se coucher. » Mutine, elle les
entraîne à l’étage, dans les cercles de jeux. Des salons en enfilade sont
décorés de grandes glaces aux trumeaux dorés. Entre les tables, des serveurs
proposent des boissons aux joueurs.
La belle lui explique les
règles : « À chaque table, les places sont numérotées à partir de la
droite du croupier. Le joueur le plus proche de lui est le numéro 1, on propose
un banco, le numéro 1 peut l’accepter. Dans ce cas, il avance la somme du banco
vers le milieu de la table ou bien il passe s’il trouve le montant trop élevé,
ou s’il ne veut pas y aller. Le numéro 2 a alors le droit de faire le banco.
S’il refuse, on le propose au numéro 3 et ainsi de suite. Si personne ne fait
d’offre isolée, on le propose à l’ensemble de la table. Chacun peut y miser à
sa convenance, y compris les spectateurs debout autour de la table. »
Confiant dans ses expériences au
Café turc et au Café de la monnaie de Bruxelles, Vidocq ne craint pas les
tricheurs. Persuadé qu’il peut les repérer d’un coup d’œil, il s’assoit et
demande des cartes avec assurance.
« Citoyens et citoyennes, les
jeux sont faits », annonce le croupier à voix haute. Un frémissement
parcourt les autres joueurs, chacun ne s’occupe plus que de son jeu, les jetons
sont glissés devant chacun d’eux. Vidocq joue les couleurs, rouge et encore
rouge. Il gagne une partie, puis deux.
« Quelle main ! On n’a
jamais vu ça. Il commande à la chance. »
Le personnel le regarde avec
respect, les autres joueurs ont interrompu leurs parties et même les serveurs
se sont arrêtés, plateau à la main pour le regarder. Devant lui, au milieu de
la table, un monceau de pièces que le croupier pousse vers lui avec un petit
râteau d’ivoire. Bientôt, il est devenu le point de mire des autres salons. Le
brouhaha des voix s’atténue peu à peu dans toutes les salles. Les amateurs
convergent vers sa table pour mieux admirer le spectacle. Vidocq sent tous les
regards se diriger vers lui. Un silence s’appesantit autour de lui. Comme une
marée irrésistible, les participants se
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