Vidocq - le Napoléon de la Police
par la perspective de nouveaux gains, le rouquin loue une
petite voiture et indique la route au fur à mesure. Ils roulent toute la nuit,
ne s’arrêtant que pour changer de cheval aux divers relais. Ravi de voir la
précipitation avec laquelle Vidocq conduit, le jeune joueur se voit déjà en
train de lui gagner son argent aux cartes. Au matin lorsqu’ils aperçoivent les
clochers de Lille, il se croit bientôt riche. Il déchante vite. Vidocq n’est
pas homme à tomber deux fois dans le même piège. Sitôt arrivé, il ne lui offre
qu’une tournée de bière en remerciement du voyage.
Son épée sous le bras, il se
présente dans une salle d’armes. Après une brève démonstration, il est engagé.
Son enseignement lui permet de vivre à sa guise, entre les petits bals et les
cabarets.
Il fait la connaissance d’une
« merveilleuse » à la dernière mode, Francine dont il tombe
éperdument amoureux. Elle est coquette, élégante et toujours prête à le suivre
où qu’il aille. À vingt ans, il a trouvé le grand amour, à tel point qu’il
croit la voir toujours et partout. Ce n’est pas une hallucination, c’est bien
elle qui danse et roucoule au bras d’un officier ! Vidocq bondit sur le
danseur qu’il roue de coups. Les autres couples s’enfuient en hurlant de peur
tandis que la maréchaussée, appelée à la rescousse, l’arrête. Vidocq fou de
rage se débat et assomme deux ou trois argousins avant d’être enfin maîtrisé.
Le lendemain devant le juge, son cas
ne s’arrange pas. Considérant autant les plaies et bosses des gendarmes que la
plainte de l’officier, il le condamne à trois mois de prison pour voies de fait
dans la prison des Bons-Fils, ainsi nommée parce qu’elle servait avant la
révolution à enfermer, grâce aux lettres de cachet, les fils de famille qui
avaient fauté.
En messidor an III (juin 1794) les
arrestations sont si nombreuses qu’on entasse pêle-mêle tous les détenus,
hommes, femmes, vieillards, assassins ou suspects, voleurs, filles de joie. La
seule distraction est l’arrivée des nouveaux.
Dans la grande salle, l’arrivant est
interpellé et prié de raconter son histoire. Les habitués lui prédisent
l’avenir :
« T’as volé une poule, t’auras
trente ans. Prêtre réfractaire, oh c’est grave, demain t’éternueras dans
l’sac. »
Les gardiens poussent un
couple ; la jeune femme menottée se débat avec fureur. Elle s’appelle
Sophie Delahaye et raconte son histoire avec un brin de vantardise au fond des
yeux :
« J’suis d’Barbezieux,
j’dansais souvent avec un ouvrier-menuisier, Rossignol. À force de danser j’me
suis aperçue que j’étais enceinte mais lui était déjà parti ailleurs. Huit mois
plus tard, j’apprends qu’il est à Rouen. J’y vais. J’accouche en route.
Arrivée, j’monte à sa chambre et lui montre l’enfant. M’en fous qu’y m’répond.
Ça m’a fait un nuage rouge devant les yeux. J’prends un couteau, j’poignarde le
bébé et hurle au secours, à l’assassin ! On l’a arrêté et guillotiné
j’étais bien contente. Hélas ça m’a rendu bavarde. C’est pourquoi j’suis là.
— Et toi, demande-t-on à son
compagnon.
— Ça r’monte à plus loin,
d’avant la Révolution. Mes parents m’battaient toujours pour m’corriger et j’ne
savais comment m’en venger. Dans mon village, à Figeac, on avait volé le
ciboire et tout l’fourbi de l’église. Les gendarmes avaient beau chercher, rien
à faire. On a promis une prime de cinquante écus à qui lui livrerait les
voleurs. Ça donnait envie mais j’allais quand même pas m’livrer moi-même. N’importe,
cette prime c’était bien tentant. À la fin, j’y tenais plus. J’ai demandé les
cinquante écus et donné ma cachette dans la maison. Deux jours plus tard,
j’étais orphelin et débarrassé de mes parents. Mais à la fin des fins, ça s’est
su. »
Ce genre de confessions écœure
Vidocq mais parfois, en écoutant certains misérables, il a les larmes aux yeux
et voudrait les aider.
La veille, deux hommes sont entrés,
enchaînés l’un à l’autre, dont le second pleurait sans arrêt à gros hoquets.
« Moi c’est pour évasion.
J’suis d’ici. Avant la Révolution, mes parents ont été nous placer mon frère et
moi, chez un fermier de Bayeux. Il y avait de l’argent à gagner. Un jour que
j’labourais près d’une garenne seigneuriale, un beau lapin passe entre mon
frère et moi.
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