Vidocq - le Napoléon de la Police
derrière eux. Alors, de la
main droite il attrape son couteau et se scie le poignet à l’articulation.
Comme les renards, prisonniers d’un piège et qui se rongent la patte pour se
libérer. »
Le conteur termine son récit en
frissonnant devant les assistants muets de terreur. Le lendemain, de bon matin,
les cris des marchands, montant leur étal sur la grand-place, réveillent
Vidocq.
Il prête l’oreille à une complainte
que chante un mendiant en s’accompagnant de sa vielle :
« Approchez tous, chère assistance
Pour entendre le noir récit
D’un forfait récemment commis
Pour une effroyable vengeance
Dans notre pays les chauffeurs
Violent les femmes et tuent les hommes. »
Le brouhaha habituel du marché cesse
soudain, remplacé par des cris aigus et des gémissements. Vidocq, guidé par la
foule s’arrête près d’une servante, toute tremblante, entourée de commères
alarmées qui parlent et pleurent en se signant, qui raconte :
« La ferme Duconnier s’est fait
piller cette nuit. Il paraît que le maître a eu les pieds grillés jusqu’à ce
qu’ils ne soient plus que deux morceaux de charbon. Ils l’ont traité de dur à
cuire, disant qu’ils ne le lâcheraient qu’éteint. Ils l’ont laissé pour mort et
ont tout pillé. Sa femme a été jetée dans le puits. Ces monstres savaient
toujours combien il y avait d’argent. Ils réclamaient 22 000 livres. Ils
l’ont forcé à tout leur donner. C’est un vrai miracle que torturé et tout
ensanglanté comme il l’était, il ne soit pas mort de suite.
— A-t-il dit ce qu’il avait
vu ? A-t-il reconnu quelqu’un ? Les questions fusent de tous les
côtés et la servante ne sait plus à quoi répondre.
— Il a dit qu’ils étaient tous
masqués et avaient le visage passé au noir, leur chef avait aussi la face
noircie et portait un beau gilet avec des dessins dorés dessus. Il paraît que
dans les pires menaces, il restait toujours bien poli. Ce monstre est un
monsieur. Le père Duconnier est mort après avoir dit ça aux gendarmes »,
rapporte d’une voix chevrotante, la servante pleurant à chaudes larmes, la tête
dans son tablier.
Pendant que chacun colporte la
nouvelle, Vidocq revoit les brandebourgs dorés du gilet du capitaine Salembier.
Il comprend maintenant pourquoi son compagnon de voyage voulait avec lui
« quelqu’un capable de tout ». Mieux vaut partir d’ici et vite. Plus
question de retourner à Arras où le bohémien pourrait le retrouver. Il faut à
tout prix s’éloigner. Le sac de poudre d’herbes gardé au fond de sa poche, le
brûle soudain. Il le jette à terre et retourne au cabaret. Il se heurte presque
à un jeune rouquin qui en sort. Un des tricheurs du Café turc de Bruxelles.
« Rémiat ! » Sans lui laisser le temps de réagir, Vidocq
l’empoigne et lui entourant les épaules de son bras comme s’il s’agissait des
retrouvailles avec son meilleur ami, l’invite à vider un pichet. Impossible
d’échapper à la poigne puissante de l’hercule qui l’enserre avec jovialité.
Tandis que les deux hommes boivent leur bock, Vidocq lui demande l’air de ne
pas y toucher, s’il a déjà emprunté les routes de la région : « Mon
père était cocher, je connais les chemins comme ma poche. »
Parfait, il fera un excellent guide.
Reste à l’en convaincre. Vidocq détourne la conversation sur les tziganes qui
campent dans le pays. L’autre hausse les épaules : « Ils s’abattent
partout comme la grêle. C’est voleur et compagnie.
— Chauffeurs…, hasarde Vidocq.
— Non, indicateurs tout au
plus, contre une part de gâteau mais, ils n’ont pas intérêt à le dire »,
conclut le rouquin en passant son index sur la gorge comme pour la trancher.
Son analyse recoupant celle de
Vidocq, la conclusion reste le départ, le plus rapide possible. Rémiat a aussi
hâte de quitter la région mais pour aller à Paris. Vidocq pour profiter d’un
guide gratuit, capable de le mener à bon port, lui glisse qu’une importante
somme d’argent l’attend à Lille. Aussitôt, son ancien ami se déclare si heureux
de l’avoir revu, qu’il lui propose de l’accompagner. Il n’y met qu’une
condition, faire une petite partie de cartes, à leur arrivée.
« Tope là » sourit Vidocq,
pas dupe. L’important aujourd’hui est de quitter le dangereux voisinage du
bohémien, indicateur plus que probable du chef des chauffeurs, le capitaine
Salembier. Appâté
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