Vidocq - le Napoléon de la Police
première
pièce, l’usurier Chardon gît dans une mare de sang dont les rigoles coulent
jusqu’au palier, où deux femmes effarées se serrent l’une contre l’autre. On
s’est tellement acharné sur son corps que son visage est méconnaissable, yeux
et joues crevés, poitrine défoncée, une écœurante boucherie. Dans la pièce
voisine, le sang a éclaboussé jusqu’au plafond. À moitié enfoui sous son
édredon, un énorme corps disloqué, dont les membres dépecés sont mélangés aux
draps. Seule une robe déchiquetée permet d’identifier une femme, la mère
Chardon. Son chapelet est encore enroulé dans une main.
De son visage écrasé à coups de
marteau, on ne distingue que des mèches de cheveux mélangées à des débris d’os.
Vidocq regarde les tiroirs jetés à terre et revient dans la première
pièce :
« Crime de sadiques. La vieille
dormait et il lui a écrabouillé la tête pendant son sommeil avant de la
découper. Elle n’avait rien vu et n’aurait pu le dénoncer.
Nos assassins sont des amateurs.
— Pourquoi pensez-vous qu’ils
sont plusieurs ? lui demande son adjoint.
— Les deux meurtres n’ont pas
été commis avec les mêmes armes. Nous cherchons donc deux hommes. »
Prenant garde de ne pas marcher dans
les taches de sang, il ramasse un étrange stylet ensanglanté qui a roulé à
terre, près d’un buffet dont les portes sont restées grandes ouvertes.
« Tiens, mets-le dans ton
mouchoir et montre-le au cordonnier que j’ai vu au coin de la rue. C’est un
carrelet, une grande aiguille de cordonnier. Demande-lui si un de ses apprentis
n’aurait pas emporté un de ses outils.
— Vous croyez qu’un de ses
ouvriers…
— Un de ses anciens ouvriers,
mauvais probablement car trop pressé. Regarde, il n’a pas pris la peine de tout
vider dans les tiroirs. Il a fait main basse sur l’argenterie, mais a laissé
cette petite cuillère. Tu iras la montrer au prêteur sur gage de la rue
Ordener. Quelqu’un lui en aura sûrement apporté d’autres du même modèle, ce
matin. Tu lui demanderas aussi s’il n’avait pas un beau pardessus, j’ai
remarqué que le portemanteau de la victime était vide. Il a dû s’en vêtir pour
cacher le sang sur ses habits. »
S’approchant des deux femmes,
blotties l’une contre l’autre et restées sur le palier à l’attendre dehors, il
les interroge avec douceur.
« Laquelle d’entre vous a
rencontré ces deux hommes ?
— Moi, mais je n’ai rien
remarqué, j’ai juste vu deux messieurs descendre. L’un était très bien mis et
poli. Il m’a dit que M. Chardon était sorti.
— Faut dire que nous étions en
retard », ajoute l’autre femme.
« Ils ont eu de la chance
qu’elles n’arrivent pas à temps pour les surprendre, regrette son adjoint.
— Non, ce sont elles qui ont eu
de la chance », soupire Vidocq qui ne partage pas l’opinion d’Henry sur
l’aspect « rafraîchissant » des criminels. Ayant pour principe que le
coupable ne doit pas soupçonner qu’il est découvert mais tomber de lui-même
entre ses mains, comme un fruit mûr, Vidocq ayant la description du meurtrier,
grâce à son ancien patron cordonnier, l’arrête dans un fiacre.
Déguisé en cocher, Vidocq
« planque » sur les grands boulevards. Les parisiens en goguette
viennent y admirer leurs vainqueurs. Ils aiment surtout les Russes, si
pittoresques dans leurs costumes tartares. Ils engloutissent des tonneaux
entiers de vin avant de s’affaler sur place, incapables de supporter le jus de
la vigne. Leurs officiers au contraire, d’une taille si fine qu’ils ont l’air
de jeunes filles, ne boivent que des flûtes de champagne qu’ils jettent après,
derrière leurs épaules.
Soudain, Vidocq reconnaît l’un des
assassins dans l’une des deux personnes qui s’approchent de son
« sapin », il propose la promenade à demi-tarif. Tentés, les deux
hommes y montent, les portes de la voiture sont truquées et se bloquent dès
qu’ils sont entrés. Le fiacre part au grand trot, les passagers ne s’aperçoivent
de rien, jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent dans la cour de la prison.
Un matin, on avertit Vidocq qu’un
meurtre a été commis. Un ancien « demi-castor », la belle Normande, a
été retrouvée ligotée et tailladée dans son lit. Il traverse un campement de
soldats prussiens installés dans la rue où se trouve la demeure de la victime.
Dans l’immeuble, personne n’a rien vu,
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