Vidocq - le Napoléon de la Police
bagne, ils pronostiquent un sensationnel procès aux
assises. La biographie romancée de l’ancien bagnard, ex-chef de la Sûreté
s’étale sur toutes les colonnes. Déjà, on annonce plus de 350 témoins à charge
et l’on prévoit une avalanche de révélations plus sensationnelles les unes que
les autres. Ce procès promet d’être l’événement du siècle.
Dans les bureaux de la préfecture,
on exulte en entassant dans des cartons les huit mille dossiers saisis dans
l’agence de Vidocq. Les policiers se réjouissent d’avoir enfin mis un terme à
l’existence de ce terrible concurrent qu’ils surnommaient entre eux, le
« pacha de la rue Vivienne ». Sans archives, plus aucun client, on
est fermement décidé à garder sous clef tous les documents. Au lieu de les
inventorier et de les transmettre au procureur du roi, les agents cherchent à
en percer les secrets et autres codages. Ils les épluchent, cherchant toutes
les informations possibles, surpris par le sérieux et la minutie des
rapports : personnes suivies et rencontrées, lieux, horaires, tout est
noté.
Chaque limier de l’agence a des
taches précises et compartimentées mais paraît ignorer la finalité de ses
filatures. Seul Vidocq doit connaître le motif véritable du client. Aussi
malgré leur curiosité, les policiers restent sur leur faim. Ils ne découvrent
aucune information compromettante sur qui que ce soit. D’ailleurs, l’épouse de
Vidocq, pour rassurer les clients de l’agence, insère un avis dans la presse
garantissant l’efficacité du cryptage de chaque fichier. Ainsi pas de risque de
divulgation intempestive ou de chantage à craindre.
Les journaux commencent à poser des
questions sur « l’embastillement » de Vidocq, détenu maintenant
depuis huit mois au secret à Sainte-Pélagie. Toute visite lui est interdite, de
sa femme comme de son avocat. Lorsque le prisonnier demande à voir un médecin,
on le lui refuse. Quelle chance s’il pouvait mourir dans sa geôle, être enfin
débarrassé de cet enterré vivant !
La préfecture fait courir le bruit
que les témoins à charge vont comparaître à son procès et accabler l’ancien
chef de la Sûreté. La veille de l’ouverture des débats, Vidocq n’a toujours pas
d’avocat et ignore, comme le public, la cause exacte de son incarcération.
À l’étonnement général, c’est devant
le tribunal correctionnel que Vidocq est traduit et non aux assises. Il n’y
aurait donc pas crimes ?
La foule parisienne s’est pressée dès
le matin aux portes du Palais de Justice. Pour tromper l’attente, on parle.
Quelques-uns rapportent que le roi Louis-Philippe aurait soupiré, après avoir
miraculeusement échappé le 15 octobre 1840 à un attentat : « Comment
puis-je espérer être protégé si on garde Vidocq en prison ? » Pour
être sûr de pouvoir assister à l’audience, certains ont envoyé leurs
domestiques faire la queue à leur place.
Lorsque Vidocq paraît, vêtu de noir,
un murmure d’admiration parcourt les travées. Cet homme presque septuagénaire a
gardé toute la vigueur de l’âge mûr. Sa chevelure, blonde et frisée n’a aucun
cheveu blanc, ses yeux clairs regardent droit son interlocuteur. Seules des
rides, profondes mais mobiles, indiquent les tourments intérieurs de ce géant
impassible, en soulignant la vivacité de ses reparties.
Les protestations de son défenseur,
Jules Favre, sur le fait que les fiches de l’agence de son client ont été
pillées sont balayées d’un revers de main par le président Barbou. « Tant
pis » si l’avocat n’a pu se préparer, toute entrevue avec le prévenu ayant
été impossible. Dans l’enceinte du tribunal, chacun a compris qu’il fallait
entendre « tant mieux ».
Mais si le juriste n’a pas eu le
temps de compulser son dossier, Vidocq le remplace efficacement. Le président commence
par évoquer la condamnation de ses vingt ans à Douai pour « faux et usage
de faux ». L’avocat a beau se dresser et protester que ces faits sont
effacés par les lettres de rémissions royales et ne peuvent être évoqués,
Barbou lui coupe la parole :
« Dispensez-nous de vos effets
de manches, maître, pour la défense d’un faussaire doublé d’un
bagnard ! »
Vidocq se lève alors et prend la
parole : « Cela ne me gêne pas du tout d’en parler et je dirai bien
volontiers pourquoi j’ai subi cette peine. »
Il expose cette vieille affaire qui
date de l’an
Weitere Kostenlose Bücher