Vies des douze Césars
pendant la guerre de Modène, malgré la foule innombrable de ses affaires, il lisait, écrivait et déclamait chaque jour. (2) Dans la suite, il ne prononça jamais de harangue dans le sénat, ou devant le peuple, ou devant ses soldats, qu’il ne l’eût méditée et travaillée, quoiqu’il pût se livrer à l’improvisation. (3) Pour ne pas s’exposer à manquer de mémoire, et pour ne pas perdre du temps à apprendre par cœur, il adopta la méthode de tout lire. (4) Il rédigeait d’avance ses conversations particulières, même celles qu’il devait avoir avec Livie, quand elles roulaient sur des sujets importants, et il parlait d’après ses notes, craignant que l’improvisation ne lui fît dire trop ou trop peu. (5) Sa prononciation douce et d’un timbre original suivait de point en point les intonations du maître. Mais quelquefois des maux de gorge l’obligèrent de se servir d’un héraut pour haranguer le peuple.
LXXXV. Ses ouvrages
(1) Il écrivit en prose beaucoup d’ouvrages et de plusieurs genres. Il en lut quelques-uns dans le cercle de ses amis qui lui tenaient lieu de public. Telles sont « Les Réponses à Brutus concernant Caton », dont il fit achever la lecture par Tibère, après s’être fatigué à en lire lui-même une grande partie, à une époque où il était déjà vieux. Telles sont encore « Les Exhortations à la philosophie », et quelques mémoires « sur sa vie » qu’il :raconta en treize livres jusqu’à la guerre des Cantabres. Il n’alla pas au-delà. (2) Il effleura aussi la poésie. On a de lui un opuscule en vers hexamètres, dont le sujet est, ainsi que le titre, « La Sicile ». Il y en a un autre tout aussi court, composé d’épigrammes, dont il s’occupait surtout au bain. (3) Il avait commencé une tragédie d’Ajax avec beaucoup d’enthousiasme ; mais, n’étant pas content du style, il la détruisit. Ses amis lui demandèrent un jour comment se portait Ajax. « Mon Ajax, répondit-il, s’est précipité sur une éponge ».
LXXXVI. Son style. Son aversion pour la recherche
(1) Il choisit un genre d’écrire élégant et tempéré, aussi éloigné du clinquant que de la bassesse, et, comme il le dit lui-même, de la mauvaise odeur des termes surannés. Il s’appliquait surtout à rendre nettement sa pensée. (2) Pour y parvenir plus aisément, pour épargner au lecteur ou à l’auditeur le trouble et l’embarras, il ne craignait point d’ajouter des prépositions aux mots, et souvent à doubler les conjonctions, sacrifiant ainsi la grâce à la clarté. (3) Ennemi du néologisme et de l’archaïsme, il trouvait que leurs partisans péchaient par deux excès contraires. Il attaquait surtout son cher Mécène dont il ne cessait de railler et de contrefaire !es tresses parfumées. (4) Il n’épargnait pas même Tibère, grand amateur de termes obscurs et vieillis. (5) Il blâmait dans Antoine sa manie d’écrire des choses qu’il est plus aisé d’admirer que de comprendre ; et, le plaisantant sur la bizarrerie et l’inconstance de son goût dans le genre oratoire, il lui écrivait : « Vous balancez entre Annius Cimber et Veranius Flaccus comme modèles de style. Vous ne savez si vous emploierez les mots que Crispus Salluste a tirés des « Origines » de Caton, ou si vous ferez passer dans notre langue la stérile et verbeuse abondance des orateurs d’Asie ». (6) Dans une autre lettre il loue l’esprit de sa petite-fille Agrippine, et lui dit : « Gardez-vous surtout d’écrire ou de parler avec recherche. »
LXXXVII. Ses locutions
(1) On voit dans ses lettres autographes quelques locutions remarquables qui lui étaient familières en conversation. Par exemple, veut-il caractériser de mauvais débiteurs, il dit « qu’ils paieront aux calendes grecques ». Pour engager à supporter l’état présent des choses quel qu’il fût, il disait : « Contentons-nous de ce Caton-là ». Pour exprimer avec quelle vitesse une chose était faite, il disait : « En moins de temps qu’il n’en faut pour cuire des asperges ». (2) Habituellement il appelait un sot « baceolus ». Pour indiquer la couleur brune, il substituait « pulleiacus » à « pullus ». Au lieu du mot « cerritus », furieux, il mettait « vacerrosus ». Il ne disait pas « je me porte mal », mais « je me porte vaporeusement ». À la place, de « lachanizare », languir, il se servait du terme
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