Vies des douze Césars
pas plus de trois heures par nuit ; encore ne jouissait-il pas d’un repos complet. Son sommeil était troublé par de bizarres fantômes. Une fois entre autres, il rêva qu’il avait un entretien avec la mer. (8) Aussi, la plus grande partie de la nuit, las de veiller ou d’être couché, tantôt il restait assis sur son lit, tantôt il parcourait de longs portiques, attendant et invoquant plusieurs fois le jour.
LI. Ses fanfaronnades et ses lâchetés
(1) On pourrait avec raison imputer à une maladie mentale les vices les plus opposés du caractère de Caligula, une confiance extrême et une crainte excessive. (2) Cet homme, qui méprisait tant les dieux, fermait les yeux et s’enveloppait la tête au moindre éclair, au plus léger coup de tonnerre ; et, si ce bruit redoublait, il s’élançait de sa couche et se cachait sous son lit. (3) Dans son voyage en Sicile, quoiqu’il se fût moqué des miracles dont se vantaient beaucoup de villes, il s’enfuit la nuit de Messine, effrayé de la fumée et du bruit de l’Etna. (4) Malgré ses grandes menaces aux barbares, un jour qu’il se trouvait au-delà du Rhin, dans un chemin étroit, porté sur un chariot et entouré de ses troupes, ayant entendu dire à quelqu’un que l’apparition subite de l’ennemi causerait un désordre épouvantable, il monta aussitôt à cheval, et s’en retourna précipitamment vers les ponts. Mais, les voyant encombrés par les bagages et les valets de l’armée, il ne put supporter ce retard, et se fit transporter à bras par-dessus les têtes. (5) Quelque temps après, à la nouvelle d’un soulèvement de la Germanie, il se hâtait déjà de faire préparer des vaisseaux pour s’enfuir. Son unique consolation était qu’il conserverait du moins les provinces d’outre-mer, si les vainqueurs s’emparaient des Alpes, comme les Cimbres, ou de Rome, comme les Gaulois. C’est, sans doute, ce qui donna plus tard à ses meurtriers l’idée de dire, pour apaiser la sédition militaire, qu’effrayé d’une défaite qu’il venait d’apprendre, il s’était tué lui-même.
LII. Sa manière de s’habiller
(1) Ses vêtements, sa chaussure et sa tenue en général n’étaient ni d’un Romain ni d’un citoyen, ni même d’un homme. (2) Souvent il endossait des casaques bigarrées et couvertes de pierreries, et se montrait ainsi en public avec des manches et des bracelets. Quelquefois il portait des robes de soie arrondies et traînantes. Il mettait tour à tour des sandales ou des cothurnes, des chaussures militaires ou des brodequins de femme. D’ordinaire il paraissait avec une barbe d’or, tenant en main les insignes des dieux, la foudre, le trident ou le caducée. On le vit aussi avec les attributs de Vénus. (3) Il portait habituellement les ornements du triomphe, même avant son expédition, et de temps en temps la cuirasse d’Alexandre le Grand qu’il avait fait tirer de son tombeau.
LIII. Son genre d’éloquence
(1) En fait d’études libérales, il s’appliqua fort peu à l’érudition et beaucoup à l’éloquence. Il avait la parole abondante et facile, surtout s’il fallait invectiver contre quelqu’un. (2) La colère lui fournissait les mots et les idées. L’enthousiasme l’empêchait de rester en place. Sa prononciation était vive, et sa voix se faisait entendre des personnes les plus éloignées. (3) Quand il devait parler en public, il menaçait de lancer les traits de ses veilles. Il méprisait tellement le style élégant et orné, qu’il appelait les ouvrages de Sénèque, l’auteur alors le plus en vogue, des amplifications scolastiques, et les comparait à du sable sans ciment. (4) Il avait coutume de répondre aux discours des orateurs qui avaient le mieux réussi ; et, quand il y avait de grandes causes dans le sénat, il jouait le rôle de défenseur ou d’accusateur, selon ce qui pouvait le plus favoriser son genre d’éloquence, accabler son adversaire ou sauver son client, et il invitait par des affiches l’ordre des chevaliers à venir l’entendre.
LIV. Sa passion pour le chant, la danse, les courses de chars et les combats de gladiateurs
(1) Il exerça avec passion des talents d’un autre genre, et même les plus opposés, (2) tour à tour gladiateur, cocher, chanteur et danseur. Il s’escrimait avec l’armure des combattants ou conduisait des chars dans les cirques qu’il avait fait construire en divers endroits. Enthousiaste du chant et de la
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