Vies des douze Césars
danse, il ne pouvait s’empêcher, dans les spectacles, d’accompagner la voix de l’acteur et d’imiter publiquement ses gestes et ses pas en les approuvant ou en les réformant. (3) C’est pour cela sans doute que, le jour de sa mort, il avait indiqué une veille générale, parce qu’il espérait s’essayer sur le théâtre avec plus de hardiesse dans une assemblée nocturne. (4) C’était aussi le temps qu’il prenait pour danser. Une fois, à la seconde veille, il fit venir dans son palais trois personnages consulaires. Ils arrivèrent en redoutant les plus affreux malheurs. Caius les plaça sur l’avant-scène, et tout à coup, au bruit retentissant des flûtes et des pédales, il s’élança sur le théâtre, vêtu d’un manteau et d’une longue robe, et, après avoir dansé, il se retira. (5) Cependant cet homme, qui apprenait si aisément tant de choses, ne savait pas nager.
LV. Ses préférences et ses antipathies dans les jeux du cirque. Ses folies pour le cheval Incitatus
(1) Son penchant pour ceux qui étaient de son goût allait jusqu’à la frénésie. (2) Il embrassait le pantomime Mnester, même en plein spectacle. Si quelqu’un faisait le moindre bruit pendant qu’il dansait, il ordonnait qu’on le mît à la porte, et il le fouettait de sa main. (3) Il chargea un centurion d’annoncer à un chevalier romain qui causait du désordre qu’il eût à se rendre sur-le-champ à Ostie, et de porter en Mauritanie, au roi Ptolémée, une lettre qui contenait ces mots : « Ne faites ni du bien ni du mal à celui que je vous envoie. » (4) Il mit à la tête de sa garde germaine quelques gladiateurs thraces. (5) Il diminua l’armure des mirmillons. (6) Un de ces derniers, nommé Columbus, était vainqueur et légèrement blessé. Il fit mettre dans sa plaie un poison qui fut appelé de son nom « poison de Columbus » : c’est ainsi du moins qu’on le trouva écrit de sa main parmi les autres étiquettes de ses poisons. (7) Il était tellement attaché à la faction des cochers verts, qu’il mangeait souvent dans leur écurie, et en faisait sa demeure. L’un d’eux, nommé Eutychus, reçut de lui, dans une orgie, un présent de deux millions de sesterces. (8) La veille des jeux du cirque, il ordonnait à des soldats d’imposer silence à tout le voisinage pour que rien ne troublât le repos de son cheval Incitatus. Il lui fit faire une écurie de marbre, une crèche d’ivoire, des housses de pourpre et des licous garnis de pierres précieuses. Il lui donna un palais, des esclaves et un mobilier, afin que les personnes invitées en son nom fussent reçues plus magnifiquement. On dit même qu’il voulait le faire consul.
LVI. Conspirations formées contre lui
(1) Au milieu de tant d’extravagances et d’excès, la plupart ne manquèrent pas de courage pour l’attaquer. (2) Mais une ou deux conspirations furent découvertes ; et, tandis que leurs concitoyens hésitaient, faute d’occasion, deux Romains se concertèrent, et mirent leur projet à exécution, après s’être ménagé des intelligences avec les plus puissants de ses affranchis, et avec les préfets du prétoire, qui, ayant été désignés, quoique à tort, comme complices dans une conjuration, sentaient que depuis ce moment ils étaient devenus odieux et suspects. (3) Caius s’était attiré toute leur haine, lorsque, les prenant à part, il leur avait protesté, le glaive nu, qu’il était prêt à se donner la mort, s’il leur paraissait la mériter. Il ne cessa, depuis ce temps, de les accuser les uns auprès des autres, et de les compromettre entre eux. (4) On résolut de l’attaquer à midi au sortir d’un spectacle qui devait avoir lieu dans son palais. Cassius Chéréa, tribun de la cohorte prétorienne, demanda à porter le premier coup. Il était déjà vieux, et Caius avait coutume de lui prodiguer toutes sortes d’outrages, en le traitant de mou et d’efféminé. Quand il venait lui demander le mot d’ordre, il répondait « Priape » ou « Venus ». Quand il le remerciait pour une raison quelconque, il ne lui présentait sa main à baiser qu’en lui imprimant une attitude et un mouvement obscènes.
LVII. Présages de sa mort
(1) Sa mort fut annoncée par un grand nombre de présages. (2) À Olympie, la statue de Jupiter qu’il voulait enlever pour la transporter à Rome, fit tout à coup un si grand éclat de rire, que les ouvriers laissèrent tomber leurs machines
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