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Ville conquise

Ville conquise

Titel: Ville conquise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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longtemps, car les gens dormaient ou feignaient de dormir dans l’angoisse.
Des pieds nus couraient enfin dans le corridor à leur rencontre. Des voix
apeurées demandaient : « Qui est là ? » Ils répondaient
impérieusement : « Ouvrez ! » Des barres de fer et des
chaînes étaient soulevées, des verrous tirés ; les clefs grinçaient et ils
entraient. L’air pauvre des intérieurs prenait à la gorge après la fraîcheur
vivifiante des nuits claires. La misère ou le confort accablé des logis s’ouvraient
subitement à ces intrus, un marin, une ouvrière, un jeune homme bossu, Xénia… Ici
dormait sur un lit de sangle un homme squelettique, d’une cinquantaine d’années,
au crâne lisse en vieux cuivre roux. D’énormes chaussures délacées béaient sous
le lit ; sur le rebord de la fenêtre, un réchaud, un cactus dans un pot, une
fiole de poison : étiquette à tête de mort. L’homme ressemblait à cette
tête de mort.
    – Qui êtes-vous ?
    – Médecin attaché au lazaret des typhiques, N°4.
    Papiers en règle.
    – Excusez-nous, citoyen.
    – C’est bon, c’est bon.
    Au chevet de sa couche une petite icône, très ancienne
Vierge à l’Enfant peinte par les premiers maîtres miniaturistes de Palekh et
habillée d’argent ciselé. Dans les chambres voisines, des femmes terrifiées, mère
et fille, aux longues tresses pendantes sur les robes de chambre tremblèrent en
révélant leur trésor, dans la baignoire, trente kilos de pommes de terre. Puis,
au salon, pendant qu’on vérifiait les papiers, la fille lymphatique, levant
pour ajuster ses tresses des bras bleuâtres, veilla sur ses boucles d’oreilles
ornées de brillants qui étaient sur une étagère.
    Matvéi s’arrêtait au milieu des chambres et considérait
curieusement les choses inconnues. Dans un escalier puant le pissat, ils
soufflèrent. Un silence de sépulcre s’étendait derrière la porte à laquelle ils
avaient frappé. Matvéi dit seulement :
    – … Vivement la fin !
    Ils arrivèrent vers cinq heures du matin chez le professeur
Vadime Mikhailovitch Lytaev. Danil, souriant, les bras croisés, devant une
fenêtre largement ouverte, interrogea Matvéi, maintenant chargé d’un vieux
sabre de cavalerie saisi à l’étage au-dessous chez une vieille dame paralytique :
    – Comment ça va, petit frère ?
    À cet instant, Xénia sur le point de prendre congé se
souvint d’une phrase lue ou entendue, il y avait longtemps de cela, bien avant
la lassitude de ces heures et cette splendeur bleue du ciel dans la fenêtre, une
phrase importante cependant et qui caractérisait quelqu’un : « Habitude
de se croiser les bras sur la poitrine… » Qui donc ? Peut-être
Kondrati. Xénia luttait contre une sorte d’enivrement résultant de la tension
nerveuse, de la fatigue et du vague bien-être physique que répandait la clarté
matinale de plus en plus irisée, car le soleil commençait à monter. Kondrati, son
teint frais, ses cheveux couleur de blé, sa bouche d’orateur aux dents saines ;
et les trois sveltes bulbes flottant très haut au-dessus de cette tête de
tribun. Il les ignorait, lui qui parlait la main tendue ; mais le ciel, plus
profond que toute pensée, et ces croix lumineuses, étaient pourtant au-dessus
de lui, nécessaires autant que son geste, nécessaires même à son geste, car il
n’y a pas de hasard. Nous allons sans jamais savoir tout ce qu’il y a de
richesse, de force et de beauté autour de nous.
    – Quel joli matin se lève, dit Matvéi d’une voix
rêveuse de prisonnier. Il doit faire bon à cette heure dans les champs.
    Danil partit d’un grand rire jovial.
    – Ça oui ! Ecoute plutôt les oiseaux !
    On les entendait pépier, innombrables, dans le jardin de l’école
voisine. Xénia écouta aussi un instant. Puis elle tendit brusquement la main à
Danil :
    – Au revoir, camarade !
    Elle fit un salut de la tête aux Lytaev qu’elle entrevoyait
dans la chambre voisine, un vieux couple bien sympathique, et sortit.
    Marie Borissovna Lytaeva dit derrière elle :
    – Qu’elle était gentille, cette petite communiste. J’ai
été tout de suite rassurée en la voyant. Ne te recouches-tu pas, Vadime ?
    – Non, cette visite inattendue m’a fait du bien. Et il
fait grand jour. Les idées me viennent en foule, je vais écrire. Tâche de te
rendormir, Marie.
    Xénia, pour marcher encore par la ville dans la lumière
grandissante, décida, les

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