Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Ville conquise

Ville conquise

Titel: Ville conquise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
Vom Netzwerk:
du Sud où il avait assisté à d’épouvantables
exécutions de prisonniers rouges. Le signalement de ce militaire était assez
précis. Son nom commençait par un D. Une dénonciation signée « Johann-Appolinarius
Fuchs, artiste peintre dévoué à la révolution » donnait des détails
absolument concordants, évidemment puisés à la même source. « D : Damien,
Daniel, David, Demid, Denis, Dimitri, Dosithée… »
    Arkadi, consulté, sourit au nom de Fuchs.
    – Faites arrêter dès demain le groupe connu. J’assisterai
aux interrogatoires. Faites rechercher ce D., bien que la donnée ne paraisse
pas sérieuse. Il ne faut rien négliger. Envoyez son signalement à tous les
hommes sûrs des Comités des maisons et faites-le connaître aux chefs d’équipes
des visites domiciliaires.

Chapitre douzième.
    – C’est la fin. Cronstadt en flammes. Les régiments
trahissent l’un après l’autre, la ville se nourrit d’avoine. Pas d’anesthésique
au grand hôpital militaire ! Tout en parlant de la société future, vous
avez glissé jusqu’au fond de l’abîme. Les soldats ne veulent plus se battre, comprends-tu ?
Toi, tu rêves de sacrifice, parce que tu es une fille de bourgeois, pétrie d’idéalisme
bourgeois, de cet idéalisme imbécile que nous savons si bien cultiver pour qu’il
vous apprenne ensuite à nous étrangler avec des yeux candides et des
consciences sereines… Fais-toi envoyer au front, petite sotte, va leur dire à
ces moujiks pouilleux, à ces Ivan, à ces Timochki, à ces Matvéi qui se battent
depuis cinq ans contre des Allemands, des Turcs, des Bulgares, des Autrichiens,
des Tchécoslovaques, des Polonais, des Anglais, des Français, des Serbes, des
Roumains, des Japonais et d’autres Matvéi, d’autres Timochki, d’autres Ivan
mobilisés comme ils le sont eux-mêmes, va leur dire qu’ils doivent encore
continuer cette vie-là pendant deux ans ou dix ans, sans pain ni chaussures, pour
installer le socialisme sur la terre ! Et que lorsqu’il faudra retirer une
balle de la cuisse d’Ivan, on ne pourra pas l’endormir faute de chloroforme !
Et que l’hiver revenu il gèlera comme son frère a gelé l’an passé. J’ai vu des
cadavres gelés alignés comme des bûches, moi ! Tous des Ivan, des Timochki,
des Matvéi, blonds ou bruns, avec leurs nez larges de Tolstoï jeunes.
    Xénia bouclait son ceinturon les dents serrées. Un morne
éclair immobile couvrait le ciel. Au fond de la chambre, sous l’icône – devant
laquelle, en l’absence de Xénia, on rallumait une petite lampe rouge – la mère
faisait semblant de dormir, allongée sur le divan, le visage contre le cuir. André
Vassiliévitch monologuait à voix basse ; et, d’être étouffée dans sa barbe,
sa parole devenait pareille à une incantation.
    – Votre révolution est un cadavre. Il n’y a plus qu’à l’emporter.
    Défense de sortir après huit heures du soir sans autorisation
spéciale. Obligation de garde aux portes des habitations. Obligation du travail.
Obligation de livrer toutes armes, même celles des panoplies (il eût été trop
facile d’invoquer les panoplies) dans les vingt-quatre heures, sous peine de
mort. Ordre télégraphique du président du Conseil révolutionnaire de la guerre
prescrivant de dresser des listes des membres des familles des anciens
officiers servant dans l’Armée rouge et de considérer ces familles comme
répondant de la loyauté des gradés. Arrestation des otages. Surveillance
extraordinaire de la circulation des automobiles et des motocyclettes. Visites
domiciliaires, vérification des papiers, arrestation des suspects. Division de
la ville en secteurs de la défense intérieure. Mobilisation des bataillons
communistes. Peine de mort pour les spéculateurs. Peine de mort pour les
espions. Peine de mort pour les traîtres. Peine de mort pour les déserteurs. Peine
de mort pour les dilapidateurs. Peine de mort pour les propagateurs de fausses
nouvelles. Peine de mort.
    – André Vassiliévitch, on vient d’afficher une liste de
dix-sept fusillés. J’y ai lu le nom d’Aron Mironovitch.
    Le reflet d’une glace recouvrant un grand portrait d’enfant
– son portrait de fillette – lui renvoya l’image d’André Vassiliévitch qu’elle
n’eût plus voulu revoir après avoir dit ces mots. Ce spectre vacillant et barbu
avait des trous sombres à la place des yeux. Il porta les mains à son col dans
un geste d’asphyxié ; sa cravate

Weitere Kostenlose Bücher