Ville conquise
les journaux même
l’on dit. Les autres chantaient en attendant leur tour, on les entendait bien, on
n’osait plus les faire taire. Le beau monde fit une ovation au bourreau. Voici…
L’homme se leva pour chercher dans la doublure de sa vareuse
un informe portefeuille dont il tira un billet qui ne portait qu’une ligne au
crayon. Ses doigts olivâtres firent apparaître ce texte dans la lueur de la
veilleuse.
– Voici l’une des dernières lignes écrites par le Bossu :
« Ich gehe mit einer Alleumfassenden Liebe in das Nichts … » (J’entre avec un immense amour dans le néant…)
Ryjik dit sèchement :
– Trop lyrique. Tout est beaucoup plus simple. Il est
plus facile de mourir que…
Et il sortit. Il étouffait. La nuit glaciale lui rafraîchit
le visage. Des sonneries cristallines continuaient à tinter au loin, très loin.
Ryjik se dit à haute voix les deux mots magiques : « Il faut. »
La sonnerie les couvrit. Il faut… il faut… Le monde était vide ainsi qu’une
grande cloche de verre.
Cette nuit-là, il n’arriva dans la ville que vingt et un
wagons de vivres, dont trois pillés. Pourvu que nous tenions jusqu’au printemps !
Le prolétariat d’Europe…
Martychkino, Leningrad, Moscou, 1930-1931.
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[1] Le texte dit « par arrêtés » que j’ai corrigé en « pas arrêtés ».
(Note du Scanner)
[2] Paysans riches.
[3] Trimardeur.
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