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Ville conquise

Ville conquise

Titel: Ville conquise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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leviers de commande, donner des
instructions précises. Il y a aussi les autres, tempéraments anarchiques et
romantiques dont, au fond, le parti n’a besoin que pour un temps.
    Gavril rentra le cœur en fête. Des camions automobiles
hérissés de lames étincelantes cahotaient d’énormes bouquets de torses noirs et
de têtes ardentes. Des mains agitaient leurs bérets à la pointe des baïonnettes ;
sombres tulipes portées par des tiges droites d’un bleu céleste. Les cheveux
flottaient autour des fronts, les bouches clamaient, les yeux lançaient de
brefs éclairs radieux. Le chœur de voix puissantes se mêlait au fracas des
moteurs :
    Nous déploierons sur le monde
    Le drapeau rouge du travail !
    Gavril comprit que ces hommes revenaient de vaincre. Pour la
première fois sa joie fut à l’unisson de la leur. Il se signa, car c’était
devant la cathédrale de Kazan. « Qu’elle vive, qu’elle vive tout de même, notre
République affamée… Quand la guerre sera finie, les serres ressusciteront. Nous
verrons peut-être ça, Iakov Iakovitch… »
    Kirk habitait au 218, Froumkine au 311, Arkadi et Ryjik
tout en haut. Le président de l’Exécutif occupait le plus bel appartement du
premier étage. Un nœud de câbles trouait le mur à côté de sa porte. Kirk
détonnait au milieu de ces hommes à peu près interchangeables. Kirk n’aimait
que la révolution, l’énergie et, en secret, les outlaws qu’il avait appris à
connaître sur les routes d’Amérique quand, tramp [3] lui aussi, et
vagabond, il parcourait les Etats, du nord au sud et du sud au nord, suivant
les saisons, passant l’hiver en Floride, le printemps à Manhattan et l’été au
bord des Grands Lacs. On couchait chez les copains, dans les bois, dans les
jardins, dans les granges, dans les prisons, car il y en a de bonnes. Les
grèves de bûcherons, en ce temps-là, avec le gros Bill-front-de-Cyclope, c’était
du bon travail ! Une cicatrice lui en restait au-dessus du sourcil droit
qu’il avait fourni, brun, coupé d’un trait rose. Ses gros yeux ronds prenaient
sans façon possession des choses, bousculaient les gens, forçaient la réserve d’autrui
avec un sans-gêne insolent et bonhomme.
    – Qu’est-ce qu’on pourra bien faire de moi quand on m’aura
vidé ? demandait-il en jetant ses deux pieds bottés sur un fauteuil.
    Sa bouche largement fendue grimaçait le sourire contraint de
l’homme qui fait une mauvaise affaire sans être dupe.
    – Que vais-je devenir quand il y aura des uniformes
neufs pour toute l’armée ?
    Zvéréva s’admirait, ce qu’elle faisait toujours, ne manquant
pas de s’asseoir chez elle de manière à ce que la grande glace lui renvoyât ses
moindres gestes baignés de la pureté argentée des miroirs. « Hystérique, pensait
Kirk. Tempérament de putain ; et ce museau de nonne méchante pour pièce de
Maeterlinck… » Elle répondait :
    – Vous servirez le parti, Kirk.
    Pas bien longtemps du reste ; anarchisant, pas vrai
prolétaire, plutôt lumpen -prolétaire, nouveau venu au parti, porté à
tout critiquer, disant des portraits de chefs : « Ces saintes petites
images », jetant un grand froid à la table de l’Exécutif en déclarant « horriblement
ennuyeux – et tout à fait faux, quant aux chiffres ! » – le dernier
discours du président ; elle se voyait très bien l’interrogeant un beau
jour, lui, accusé de tremper dans quelque aventure insensée de la troisième
révolution…
    « Officielle, bien sûr, jusqu’au bout des ongles. À plat-ventre
devant les pantoufles du président ; mais demain, si la clique Kondrati l’emporte,
pfuit, nous aurons du « camarade Kondrati » plein la bouche. Où
prend-elle ces fleurs ? Je parierais qu’elle reçoit à l’Exécutif une
ration extraordinaire avec du cacao, des noisettes et du lait condensé pris sur
mes blessés… »
    – Il y a des gens, dit Kirk, qui font la révolution
comme on reçoit des coups de pied au cul. En apprenant l’affaire de la Colline,
la garnison du front Obroutchev arrête les communistes, discute des heures s’il
faut les fusiller et les enferme dans une cave, en attendant, pour ne pas se
compromettre, les ordres des Blancs. Nous prenons la Colline. Je téléphone à
ces punaises : dix minutes pour vous rendre sans conditions. Elles tirent
aussitôt les communistes de la casemate et y fourrent leurs officiers. Quels
salauds !
    Il laissa tomber sur le tapis bleu un

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