Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Ville conquise

Ville conquise

Titel: Ville conquise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
Vom Netzwerk:
insuffisante, agent 131. » Et c’était vrai, il l’eût
démontré par les yachts sur le lac, le nombre des fenêtres de l’hôtel, les
dentelures de la montagne et celles du timbre-poste. Sous l’ancien régime, les
chefs de la police l’introduisaient chez les grands ministres pour des services
très particuliers ; ils s’entremettaient eux-mêmes avec les proxénètes
attachées à la famille impériale pour qu’elles lui réservassent les minces
gamines vicieuses qu’il déflorait péniblement tous les mois le 25, de cinq à
huit. Sous le nouveau régime, des courriers spéciaux lui transmettaient des
plis scellés de cinq cachets rouges ; la camarade Zvéréva veillait
elle-même à ce qu’il reçût une ration de vivres plus opulente que celle des
membres du Comité exécutif et qui ne pouvait se comparer qu’à celle du
président. Si le mécanisme du souvenir ne s’était pas réduit dans son esprit à
une fonction exclusivement technique, il devait se rappeler avoir déchiffré
autrefois pour la police les cryptogrammes du Comité central illégal réfugié à
Cracovie. Il déchiffrait maintenant pour le Comité central ceux des anciens
ministres réfugiés à Dantzig. Les systèmes n’en étaient pas profondément
différents.
    Peu de temps lui suffit à pénétrer le sens de cette ligne :
21. 2. 2. M. B. 6.4. H. O. 6.2. 4.60.2. R. 11. A. 4. M. 9.10 ? 4.2. R. 9. S. qu’il fallait lire : Kaas, huit, quai des Anglais,
confiance. Encore demeurait-il persuadé que le chiffreur s’était deux fois
trompé. Ce qu’il redoutait par-dessus tout dans la ruse d’autrui, c’était les
complications irrationnelles de l’erreur. Avant de sombrer dans une étonnante
imbécillité qui côtoyait chaque jour le génie sans y tomber jamais, il avait
rêvé d’écrire un Traité de l’erreur, où la bêtise et les grands nombres
se fussent révélés les seuls adversaires invincibles de l’esprit humain.
    Grâce à lui fut arrêté Kaas qui lui ressemblait étrangement.
Homme d’affaires malheureux, les dossiers de l’ancienne Sûreté présentaient
Kaas comme un espion double. Dès qu’il fut assis en face de Zvéréva – Kirk
l’étudiait de profil – sa voix chevrotante débita des phrases apprêtées :
    – Citoyenne, la vigilance admirable de la Commission
extraordinaire m’a convaincu de la justesse de la grande cause du prolétariat. J’avoue
que j’ai conspiré, mais en adversaire loyal de la dictature et par une erreur
profonde. Je n’ai plus que le désir de la racheter en vous prodiguant les
preuves de mon repentir. Une place éminente m’était réservée au gouvernement de
la contre-révolution ; je suis prêt à vous livrer tous les fils de la
conspiration, à commencer par les noms des trente membres de la Ligue de la
Résurrection.
    L’être souffreteux jouait sa dernière carte avec une
lucidité aiguillonnée par une telle peur qu’il paraissait sur le point de
défaillir. Il tenait ses mains sous le rebord de la table, pour qu’on n’en
aperçût pas le tremblement. Mais sa tête tout entière tremblait.
    – Je connais très bien votre organisation. Vous êtes
Kirk de la Commission sanitaire, du Conseil économique, de la Direction des
métaux, de la Commission spéciale du ravitaillement de la VII e armée…
    – Citoyen, fit Zvéréva, il suffit. La Commission saura
mettre votre sincérité à l’épreuve.

Chapitre quatorzième.
    – Te représentes-tu la Zvéréva en face du Kaas, fantoche
à barbiche, empalé par une colique phénoménale, puant la trahison – toutes les
trahisons imaginables ! – comme le purin sent la merde ! Et derrière
eux l’ombre replète d’un Bobrov content de lui-même et content de nous. Nous le
payons bien. Si nous sommes pendus demain, il se trouvera toujours quelqu’un
pour le bien payer, lui. L’idée que Zvéréva serait très vraisemblablement
pendue à la même branche que nous ne me console pas, vois-tu. Je me moque de la
mauvaise compagnie outre-tombe ; je sais que les potences transforment en
héros fort sortables, parfaitement historiques, des engeances assez falotes. Mais
cette bonne femme-là, sous tous les régimes, se fera des simagrées dans les
miroirs, aura son auto, mettra du caviar sur son pain blanc quand les
chauffeurs de la Grande-Usine ne recevront leur ration extraordinaire de lait
que sur le papier. J’ai honte de leur parler, moi, tu m’entends, quand je vois
leurs gueules en

Weitere Kostenlose Bücher