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Ville conquise

Ville conquise

Titel: Ville conquise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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d’ombre, chercha dans l’air opaque une branche morte qui pendait et qu’il
saisit. La branche fit en se cassant un bruit sec. Alors il se reprit avec un
petit rire calme :
    – Il ne faut pas, même en pensée, s’accrocher aux
branches pourries. Je n’admettrais un Bonaparte qu’avec la ferme intention de
le fusiller un jour en récompense des plus grands services rendus. Parce que…
    Tous deux restèrent un long instant silencieux. Un vaste
paysage de campagne, hérissé à peu de distance des chevaux de frise, naissait
autour d’eux.
    – Parce que, acheva Kirk, nous ne venons pas
recommencer la vieille histoire. Ou ce ne serait pas la peine, non… Mieux
vaudrait, pour la révolution, périr en laissant une mémoire propre. Le sang ?
Le sang ne se perd pas entièrement.
    Ossipov cria presque, bien que sa voix fût basse :
    – Non, non, non, non ! Chasse ces idées-là, camarade,
qui nous ont été inculquées à coups de matraque, je veux dire à coups de
défaites. Pas de suicide en beauté, surtout ! Inventions de littérateurs
qui ne se suicident pas eux-mêmes, du reste, ni en beauté ni autrement. Philosophie
de rossés. Il ne s’agit plus de ça, mais de tenir, nom de Dieu ! de durer,
de travailler, d’organiser, de tout utiliser à fond jusqu’au fumier. Il faut
aussi du fumier. Et puis, si l’on se casse le cou, ce sera grand, j’y consens, à
la condition de nous foutre des poses devant l’histoire, de la grandeur, de l’épopée,
et cætera. Vivre, voilà ce que veut la classe ouvrière en chair et en os, ce
tas de gens affamés que nous avons derrière nous, que nous avons l’air d’entraîner,
et qui nous poussent en réalité. Sitôt qu’il faut choisir, renoncer ou continuer,
ils continuent. Continuons, prenons l’habitude de vivre.
    Le soleil se leva tout d’un coup. Un coq chanta. Des
chiens aboyèrent. Les nuages blancs s’ouvrirent, des flots d’or ruisselèrent
par magie sur l’herbe pâle. Ossipov était assis au pied d’un pommier. Kirk
ramassa par terre une pomme verte, y mordit et la jeta au loin d’un geste
oblique appris dans sa douzième année.
    – Bien sûr, cria-t-il. Prenons l’habitude de vivre. Bonne
habitude, frère. Ah !
    Il eût voulu gambader comme un poulain dans la plaine verte.
Ossipov fumait, le regard ailleurs, les lèvres entrouvertes sur un sourire
jeune qui rendait à l’ovale tourmenté de son visage une expression presque
enfantine. N’eussent-été les uniformes et l’indéfinissable lourdeur des années
quelque part au fond de leur pensée, ces deux hommes eussent pu se croire un
instant ramenés à ces frontières de l’adolescence et de l’enfance où la vie est
neuve à chaque réveil.
    – Je crois, murmura Ossipov, que je vais être nommé à
la Commission extraordinaire.
    – Mon ami, je t’apporte une belle affaire. Une usine
volée tout entière, terrains, bâtiments, outillage, vingt-sept ouvriers – des
pas grand-chose – et un sous-directeur compris ! Je viens de découvrir le
pot aux roses, figure-toi. Pas nationalisable, puisqu’elle n’existait sur aucun
contrôle. Disparue, quoi !
    Le dormeur étendu près d’eux secoua ses couvertures. La face
carrée, rougeaude, plantée de poils roussâtres d’Antonov, se montra éclairée d’un
bon regard bleu. À cent pas, des hommes sortaient de la tranchée. Un soldat
famélique vêtu d’une vareuse informe et dont la marche semblait déviée par le
poids du lourd pistolet à gaine de bois qui lui battait le flanc se dirigea
vers les trois envoyés des comités. Une casquette trop grande moulait son crâne
étroit. Ce pouvait être un gamin, bien qu’il fût aussi ridé que certains vieux
paysans.
    – Voilà Parfénov, le commissaire du bataillon, dit
Antonov. Un petit gars de la typographie Wildborg.
    Ossipov le mit d’un trait au courant :
    – Pas de relève avant huit jours (il eût fallu dire
quinze). Ni vêtements ni munitions avant quatre ou cinq jours. Tiendrez-vous ?
    Le petit gars sans âge avait un nez pointu légèrement faussé,
des joues creuses que les pommettes semblaient près de percer, des lèvres
parcheminées.
    – On essayera, dit-il.
    Devant les hommes rassemblés au bord de la tranchée – cent
quarante faces terreuses – ce fut Antonov qui parla le premier.
    – Camarades ! La Troisième Internationale…
    Ossipov assis aux pieds de l’orateur, prenait des notes.
« 2 e bataillon, 140 hommes : ouvriers 8,

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