Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Ville conquise

Ville conquise

Titel: Ville conquise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
Vom Netzwerk:
employés 4, paysans
103 – origines sociales indéterminées, 15 ; déserteurs repris ou revenus, 40.
Commandant et 4 hommes passés à l’ennemi à notre arrivée. Au premier meeting, cris :
« À bas la guerre civile ! Des bottes ! » Manquent de vêtements :
tous. De vivres : tous. De bottes : 27. Pénurie de munitions. »
Arrivé à la question : Moral ? il hésita. Antonov jetait sur
ces cent quarante têtes jaillies de terre et qui se confondaient encore avec la
terre des phrases claires, bien martelées, reprises chacune jusqu’à trois fois,
pour s’implanter dans toutes les cervelles. L’Entente acharnée à nous tuer, toute-puissante
et pourtant impuissante, l’Allemagne où vos frères de Hambourg – le plus grand
port du monde ! – remportent des victoires, le monde sur le point d’exploser
dans un dix-neuf-cent-dix-sept autrement prodigieux que le nôtre, la paix que
nous déclarons, la paix que nous imposerons à coups de victoires et d’insurrections
dans tous les pays, la terre que nous garderons, la terre que les généraux et
leur séquelle de banquiers, de propriétaires, de traîtres veulent nous
reprendre (mais tous ces chiens affamés se casseront les dents...). Les mots
nets claquaient tantôt comme les détonations sèches des revolvers, tantôt comme
un drapeau fouetté par le grand vent. Des colères ramassées se muaient en
exaltation froide ; des ricanements amicaux et des regards têtus s’aimantaient
vers l’orateur. Dès qu’il se fut tu, quelqu’un qui attendait cet instant cria :
    – On n’a pas de linge, on est mangé par les poux !
Voilà.
    Une autre voix s’éleva :
    – Est-il vrai que les Soviets de Hongrie sont tombés ?
    – Ils sont tombés, jeta Antonov. Vivent les Soviets de
Hongrie ! Vivat !
    Ses deux poings et sa gorge lancèrent l’acclamation aux
vaincus comme l’annonce d’une victoire. Des voix égaillées lui firent écho, se
cherchèrent un moment, finirent par s’agglomérer.
    – Vivat !
    Ce fut la rumeur même de la terre dont émergeaient ces cent
quarante soldats. La plupart ignoraient qu’il y eût une Hongrie. Ils croyaient
entendre nommer une victoire inconnue. Ils saluaient en elle un espoir de
délivrance. « Ils sont dans le vrai », pensa Ossipov. Et sous la
rubrique Moral, il nota : « satisfaisant ».

Chapitre quinzième.
    Les derniers beaux jours de l’automne passèrent emportés par
un tel flot d’événements – tous mortels, car tous ils apportaient, écartaient, conjuraient,
certifiaient la mort – que leur succession même devenait une sorte de calme. Ainsi
s’établit dans un fracas continu de machines une sorte de silence où l’homme
écoute battre son cœur, fume sa pipe, rêve peut-être à sa femme et sommeille
éveillé.
    On avait fait la moisson dans les campagnes. On la cachait. Des
laboureurs qui s’étaient battus sous les drapeaux rouges, avec leurs vieilles
faux, enterraient le blé et faisaient sonner le tocsin à l’approche de l’Antéchrist.
D’autres, leurs fils, l’étoile rouge cousue sur les vieux képis de l’armée
impériale, venaient fouiller les granges. Des ouvriers, craignant d’être lapidés,
haranguaient les anciens des villages. C’étaient des hommes coincés entre la
faim, la haine, la discipline, la foi, la guerre, la fraternité, le typhus, la
bêtise. Aux confins de ce bizarre continent se remuaient, fourmilières en
fièvre, des armées qui fondaient en bandes et des bandes qui s’enflaient jusqu’à
devenir des armées. Dans des pays jaunes et bleus – sables et cimes – un
sous-officier devenu ataman faisait jeter tout vifs des cheminots dans des
chaudières de locomotive. Mais, fils du peuple, il livrait à ses soldats
exaspérés les filles de ses vieux généraux. Des trains blindés pointaient, sur
les steppes parcourues jadis par les archers de Gengis Khan, le regard aveugle
de canons. Des gentlemen aux corps singulièrement propres, frottés d’eau de
Cologne, portant sous les uniformes des grandes puissances du linge parfaitement
blanchi, des gentlemen qui ne savaient pas ce que c’est que dormir à la dure
avec des poux sous tous les poils et des chances assez sérieuses d’être tués le
lendemain, regardaient passer la terre russe, à travers les glaces des
wagons-lits. Washington, Londres, Paris, Rome, Tokyo dataient leurs
instructions. Ils avaient des lames de rasoir Gillette, assez pour payer au
vieux Chinois d’Irbit

Weitere Kostenlose Bücher