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Ville conquise

Ville conquise

Titel: Ville conquise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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répartition des cadres. 86, Presse. 88, Services de l’internationale. Le président
entre là. Dans une obscure antichambre nue formée de cloisonnages en bois blanc,
les chasseurs, deux gamins, luttent en étouffant leurs rires de peur d’être entendus
par la terrible secrétaire qui corrige les épreuves d’un message au P.C.A. sur
la scission du groupe de Brème. L’apparition du président les fige sur place. Mais
la grosse tête ébouriffée a un vague sourire. Les gamins s’enhardissent tout à
coup.
    – On n’a plus ni pantalons, ni chaussures, voyez plutôt,
camarade ! Signez-nous un bon, camarade ! Veine ! Il signera le
bon !
    – Demandez au secrétariat. Le président l’a dit !
    Derrière lui, les gamins dansent une gigue silencieuse :
on aura des chaussures !
    Spacieuse salle blanche. Le président dicte à sa sténo, une
blonde pâle. « Travailleurs du monde !… » La T.S.F. lancera ce
soir à tous, à tous, à tous ! ce suprême appel de la Commune du
Nord. Nous n’avons plus en somme que cette voix à opposer à l’escadre qui
bloque le port et débarquera demain des bataillons aux casques plats. « Soldats
et marins britanniques, prolétaires et paysans, oublierez-vous que nous sommes
vos frères ? » Le président va d’un angle de la pièce à l’autre, scandant
ses phrases. La sténo le regarde à la dérobée quand, cherchant ses mots devant
la fenêtre, il fourrage dans ses cheveux rebelles. Elle pense que c’est
toujours la même chose, qu’il a une belle tête, qu’elle va rater la
distribution des harengs au sous-secrétariat des pays latins, qu’en cas d’évacuation
il l’emmènera sûrement dans le wagon présidentiel…
    L’état-major d’une division s’installe dans une des gares.
La ligne de feu borde la grande banlieue. Les lignes de résistance et de
retraite de la défense intérieure suivent les contours des canaux. Tels coins
de rues seront bien défendus. Les survivants se retireront le long du fleuve au
risque d’être deux fois coupés… la dynamite et le feu régneront alors. Kondrati
le dit calmement :
    – Nous ferons sauter les ponts. Nous ferons sauter les
usines. Nous ferons sauter l’Exécutif, la Commission extraordinaire, les
anciens ministères. Nous allumerons les magasins du port. Nous ferons de la
ville un volcan. Voilà ma solution.
    Le président en préférerait une autre. Sa grosse tête
bleuâtre, un peu bouffie, est accrochée au téléphone. Sa voix assourdie
transmet inlassablement à six cent quarante kilomètres de distance, au cœur
même de la république, les mauvaises nouvelles. Ni vivres ni renforts. Progression
irrésistible de l’ennemi. Tanks. Oui, tanks. Troupes démoralisées, peu sûres. Complots
dans la ville. Risquons d’être pris à revers. Les troupes du front nord
céderont à la première poussée, pas d’illusions à se faire là-dessus. La flotte
britannique… Je dis bien : intenable. Évacuation, oui. Éviter des
massacres inutiles, sauver les forces vives du prolétariat…
    La Commission extraordinaire siégea au complet, conformément
aux statuts, pour juger l’affaire Arkadi. Fleischman, nommé à la place de l’accusé,
rapporterait ensuite sur la situation au front. Douze têtes dans la petite
salle des séances lambrissée de chêne. Ossipov présidait. L’affaire se
présentait d’une simplicité irréparable.
    Le rapport Zvéréva, conçu en termes d’une extrême modération
apparente, se terminait sur une hypothèse voilée de corruption. Rien ne
prouvait qu’Olga Orestovna Azine n’eût pas obtenu d’Arkadi d’autres
élargissements que celui de son frère et n’eût pas été payée par les intéressés.
Un passage à double entente d’une déposition Kaas renforçait cette présomption.
(Ce rapport odieux avait déterminé Ossipov à retirer le dossier 81 à la
camarade Zvéréva pour le transmettre à Kirk ; mais d’aucuns voyaient là
une mesure arbitraire ; la coterie du président blâmait, dans des conversations
intimes qu’on ne manquerait pas de rapporter au Comité central, « cette
singulière manifestation de camaraderie »…)
    Marie Pavlovna, envoyée à Moscou afin de soumettre le
dossier au grand chef, s’était trouvée en présence d’un homme osseux auquel le
surmenage faisait une tête de vieil enfermé, accablé de soucis. De maigres
épaules faisaient saillie sous sa vareuse verte. Il n’était que nerfs, tranchant,
mouvement

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