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Ville conquise

Ville conquise

Titel: Ville conquise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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voter, prit la parole. Sa grosse tête rougeaude, ses lèvres
retroussées, son front bas, furent seuls en lumière pendant quelques instants. Ses
yeux de porcelaine, de nuance imprécise, roulaient en tous sens ; il fit
de ses mains grossières, aussi rouges que sa face, quelques gestes courts, pareils
à des bégaiements.
    – Il n’y a qu’une histoire de femme là-dedans. Arkadi
est propre. Nous avons peu d’hommes de cette trempe. Il vaut mieux que moi, vous
dis-je, cent fois mieux ! Je vous dis que nous ne pouvons pas le fusiller.
Je suis un homme inculte, moi, regardez mes pattes, regardez comme je signe…
    Il saisit un crayon, il fit le geste de signer. Il cherchait
dans la salle un appui, mais les onze visages étaient muets. Ossipov, la joue
dans la main, écoutait tristement, l’œil éteint. Térentiev, cramoisi, bafouilla.
    – Je crois en lui. La révolution ne peut croire
personne sur parole, c’est vrai. Nous devons offrir nos têtes, c’est vrai, puisque
nous sommes sans merci. Mais je ne peux pas ! Je vous dis que nous ne
pouvons pas…
    Il se tut.
    – As-tu fini ? demanda doucement Ossipov. Tu votes
donc contre ?
    Kirk regardait avidement Térentiev. Six restaient, ce
pouvait être le vote décisif. L’autre, congestionné, la tête baissée, les
veines du cou enflées, ses deux vilaines mains posées à plat sur le tapis vert,
luttait avec lui-même, acculé à une muraille invisible.
    – Non, fit-il, étranglé, je vote pour.
    Kirk jeta « contre » avec une sorte de fureur. Trop
tard, il fut le seul. Ossipov, dernier, articula distinctement :
    – Moi : pour. Par onze contre une, l’application
de l’article 15 est votée.
    Cette nuit-là, très tard, Kirk vint frapper à la porte du
130, à la Maison des soviets. Ossipov, tiré du lit en chemise, les pieds nus, sa
vieille culotte de cheval flottant autour de hanches maigres, le reçut avec
inquiétude :
    – Eh bien ?
    – Eh bien ! rien. Tu sais, frère, nous commettons
un crime.
    – Un crime ? rétorqua Ossipov, parce que l’un de
nous est frappé à son tour ? Est-ce que tu ne comprends pas qu’il faut
payer de son sang le droit d’être impitoyable ? T’imagines-tu par hasard
que nous n’y passerons pas tous ? – Je l’aurais sauvé si j’avais pu. Mais
tu l’as vu, il n’y avait plus qu’à partager la responsabilité des autres. Toi, tu
es un Don Quichotte, avec ta manière de faire cavalier seul. Ça t’amuse
peut-être, ça ne sert à rien. – Et puis, écoute, toute cette affaire n’a plus
aucune importance. Pas plus que n’en aurait ta mort ou la mienne cette semaine.
Tu tombes bien, car je suis à bout de force. Réveille Gricha, au corps de garde,
prends ma moto et fais-toi conduire à Smolny. Six cents hommes sont arrivés de
Schlusselbourg. Il faut les loger, les nourrir, les armer, en faire une force. Fais
vite.

Chapitre dix-septième.
    Les bureaux fonctionnent comme de coutume, c’est-à-dire qu’ils
font semblant de fonctionner. Les queues sont là, dans les rues. Assemblée
extraordinaire à l’usine. Séance extraordinaire au rayon. Téléphones. La ville
attend l’événement qui se ramasse quelque part au-dessus d’elle, dans des
régions inconnues, pour bondir sur l’immense proie. Malheur aux vaincus ! Une
jeune femme enceinte – car la maternité désarme le soupçon – et une vieille
femme à cheveux blancs préparent les faux papiers de l’organisation illégale
qui continuera demain, dans la ville perdue, l’action du parti ; elles ne
savent pas qu’elles sont déjà vendues à l’ennemi ; que l’on a leurs adresses ;
que les faux passeports étrangers qu’elles achètent sont doublement faux… Des
régiments s’apprêtent mornement à une suprême bataille grosse d’un épouvantable
sauve-qui-peut. Les bataillons spéciaux du parti, casernés autour des comités, murmurent
que rien ne se fait pour l’évacuation, que les chefs auront des trains et des
autos, eux, pour filer, tandis que les pauvres bougres feront des martyrs. Les
ouvriers, dans les usines mortes, réclament de la farine et chapardent les
métaux, les outils, les planches des clôtures, les tôles, les cordes, les
câbles… Des nuées chargées de pluie apportent des rumeurs de trahison, d’incendies,
de défaites, d’exécutions. Les Cosaques ont pillé le palais de Gatchina. Le
grand écrivain Kouprine est passé à l’ennemi. « Ils pendent tous les juifs,
tous les

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