Voyage au Congo
enchantée. Ce n’était pas encore la grande forêt ténébreuse, mais solennelle déjà, peuplée de formes, d’odeurs et de bruits inconnus.
J’ai rapporté quelques très beaux papillons ; ils volaient en grand nombre sur notre sentier, mais d’un vol si fantasque et rapide qu’on avait le plus grand mal à les saisir. Certains, azurés et nacrés comme des morphos, mais aux ailes très découpées et portant queue, à la manière des flambés de France.
Parfois d’étroits couloirs liquides s’ouvrent profondément sous les ramures, où l’on souhaite s’aventurer en pirogue ; et rien n’est plus attirant que leur mystère ténébreux. La liane la plus fréquente est cette sorte de palmier flexible et grimpant qui dispose en un rythme alterné, tout au long de sa tige courbée, de grandes palmes-girandoles, d’une grâce un peu maniérée.
12 septembre.
Arrivés le 9 à Coquillatville. J’ai perdu prise. Je crains de me désintéresser de ce carnet si je ne le tiens pas à jour. Le gouverneur a mis à notre disposition une auto et l’aimable M. Jadot, procureur du Roi, nous accompagne à travers les quartiers de cette vaste et encore informe ville. On admire non tant ce qu’elle est, que ce que l’on espère qu’elle sera dans dix ans. Remarquable hôpital indigène, non encore achevé, mais où déjà presque rien ne manque {10} .
Le directeur de cet hôpital est un Français, un Algérien d’aspect énergique, médecin de grande valeur, paraît-il, et qu’il est bien regrettable qu’un traitement suffisant n’ait pas pu retenir au Congo français, où l’assistance médicale fait si grand défaut {11} .
Le 11, visite au jardin d’essai d’Eala, le vrai but de ce détour en Congo belge. M. Goosens, le directeur de ce jardin, présente à notre émerveillement les plus intéressants de ses élèves : cacaoyers, caféiers, arbres à pain, arbres à lait, arbres à bougies, arbres à pagnes, et cet étrange bananier de Madagascar, l’« arbre du voyageur », dont les larges feuilles laissent sourdre, à la base de leur pétiole qu’un coup de canif a crevé, un verre d’eau pure pour le voyageur altéré. Déjà nous avions passé à Eala, la veille, quelques heures exquises. Inépuisable science de M. Goosens, et complaisance inlassable à satisfaire notre insatiable curiosité.
13 septembre.
Les journées les plus intéressantes sont précisément celles où le temps manque pour rien noter. Hier, interrompu par l’auto qui vient nous prendre de bon matin pour nous mener à Eala, où nous nous embarquons en baleinière. Une tornade, durant la nuit, avait un peu rafraîchi l’atmosphère ; néanmoins il faisait encore une belle chaleur. Nous remontons la « Bousira », et débarquons parmi les roseaux en face de Bolombo, dépendance d’Eala, où M. Goosens a établi ses plus importantes pépinières et vergers de palmiers à huile. Sur ma demande, on nous promène dans la forêt durant deux heures, le long d’un très petit sentier presque indistinct, où nous précède un indigène armé d’une machette pour frayer la route. Si intéressante que soit cette circulation parmi les végétaux inconnus, il faut bien avouer que cette forêt me déçoit. J’espère trouver mieux ailleurs. Celle-ci n’est pas très haute ; je m’attendais à plus d’ombre, de mystère et d’étrangeté. Ni fleurs, ni fougères arborescentes ; et lorsque je les réclame, comme un numéro du programme que la représentation escamote, on me répond que « ce n’est pas la région ».
Vers le soir, remontée en pirogue jusqu’à X… où nous attendent les autos. De grandes étendues de roseaux étalent au bord de la rivière un vert plus tendre. La pirogue circule sur une plaque d’ébène à travers les nymphéas blancs, puis s’enfonce sous les branches dans une clairière inondée ; les troncs se penchent sur leur reflet ; des rayons obliques trouent les feuillages. Un long serpent vert court de branche en branche, que nos boys poursuivent, mais qui se perd au plus épais du taillis.
14 septembre.
Départ de Coquillatville à huit heures sur un petit huilier qui devait nous mener au lac Tomba ; mais l’obligation de retrouver le Largeau à Liranga, le 17, nous presse. Le lac est « dangereux » ; nous pourrions être retardés par une tornade. Nous quitterons le Ruby à Irébou, où nous passerons le 15, et d’où une baleinière nous mènera
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