Voyage au Congo
qui me laisse le pied tout endolori. J’ai mal à la tête et la visite à la mission américaine où m’entraîne M. Bouvet, m’exténue. Interminable déjeuner chez M. Eboué, chef de la circonscription, originaire de la Guyane, (auteur d’une petite grammaire sango que je travaille depuis huit jours) homme remarquable et fort sympathique… Mais mon mal de tête augmente ; je grelotte ; c’est un accès de fièvre ; je rentre me coucher, laissant Marc aller seul au tam-tam que va bientôt disperser une formidable tornade.
9 octobre.
J’ai pu dormir et me sens assez dispos ce matin pour accompagner mes compagnons à Ouango. Poste pittoresquement situé sur une élévation qui domine un coude du M’Bomou (nom que prend l’Oubangui dans son cours supérieur). M. Isambert, qui l’administre, vient de se convertir au protestantisme et occupe son peu de loisirs à poursuivre des études d’exégèse et de théologie. Je suis trop fatigué, malheureusement, pour pouvoir causer avec lui comme je le voudrais. Du reste, et de plus en plus, toute conversation m’exténue. Je fais semblant. On ne parvient à s’entendre que sur le plus banal, ou le « matter of fact », et encore. J’ai du mal à finir mes phrases, tant est grande ma crainte que celles où j’exprimerais vraiment ma pensée, ne puissent trouver un écho.
Ici toutes les femmes qui viennent danser au tam-tam sont vêtues de cotonnades aux couleurs vives et seyantes, formant corsages et jupes. Toutes sont propres, ont le visage riant, l’air heureux. Devons-nous en conclure que tout ce peuple noir n’attend qu’un peu d’argent pour se vêtir {22} ?
10 octobre.
Je me sens assez bien pour me lancer dans la longue course de Rafaï à laquelle je me désolais de devoir renoncer. Le sultanat de Rafaï est le dernier de l’Oubangui-Chari qui ait encore son sultan. Avec Hetman (qui a pris le pouvoir en 1909) s’éteindra définitivement le régime. On laisse à celui-ci un semblant de cour et de pouvoir. Il est inoffensif. Il accepte la situation en souriant et ne revendique le pouvoir pour aucun de ses fils. Le gouvernement de l’A. E. F. a inventé pour lui un bel uniforme d’opérette qu’il semble revêtir volontiers. Les trois aînés de ses fils ont fait un an d’étude dans l’île de Gorée, en face de Dakar (où les fils de chefs et de notables indigènes reçoivent une éducation française, en prévision d’un commandement) ; l’un d’eux est à Bangui, le second sert dans l’armée à Fort-Lamy ; le troisième, qui n’a pas vingt ans, est revenu à Rafaï où il reste auprès de son père. C’est un grand garçon timide, qui vient nous serrer la main, puis se retire. La résidence du sultan est sur une éminence qui fait face à celle du poste. Nous nous y rendons en auto, deux heures après notre arrivée. (Mais déjà le sultan nous avait devancés et s’était assis quelques instants sur notre terrasse). Sur le plateau, c’est d’abord une grande esplanade où un peuple, qui fait haie d’un seul côté de la route, nous acclame. Puis on entre dans la sorte de zaouïa où se tiennent les familiers du sultan.
11 octobre.
Le sultan vient nous dire adieu, flanqué de toute sa maisonnée et de son escorte ordinaire. Assez piteux spectacle de cette cour déchue. Quelques joueurs de flûte, survivants derniers de sa splendeur, semblent sortir d’une mascarade. Les flûtes verticales sont ornées de deux ceintures de longs poils, qui s’épanouissent en corolles dès que l’on souffle dans l’instrument.
Le poste même de Rafaï, abandonné depuis six mois par insuffisance de personnel, est délabré ; l’aspect des pièces est sordide ; vastes et agréablement disposées, mais emplies d’un rubbish innommable, instruments détériorés, meubles vermoulus et brisés, le tout épaissement recouvert de poussière. On coucherait sous la véranda, n’étaient les panthères qui, nous dit-on, ne craignent pas de venir dans le village et qui récemment ont dévoré un indigène dans sa case, à cinquante mètres du poste.
Pourtant nous ne quitterons Rafaï qu’à regret. La terrasse où s’étend le jardin du poste, dominant le cours majestueux du Chinko, est très belle. Je crois même que je la préfère à celle de Ouango.
12 octobre.
Retour de Rafaï {23} . Arrêt à Bangassou d’où nous sommes repartis ce matin. Nous couchons de nouveau à Foroumbala ; les voitures ont besoin
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