Voyage au Congo
peut nous accompagner lui-même, mais son chef de cabinet, M. Bouvet nous fera les honneurs du pays.
1 er octobre.
L’auto qui doit nous emmener rentre de Fort-Sibut en mauvais état. Des réparations nous retiennent à Bangui jusqu’à six heures. La camionnette qui nous suit est à ce point encombrée de bagages, que nos deux boys doivent se mettre « en lapin » dans notre auto. La nuit tombe vite et nous n’avons pas de phares ; mais bientôt la pleine lune qui monte dans un ciel très pur, nous permet de continuer notre route. J’admire la résistance de notre chauffeur, le brave Mobaye, un indigène formé par Lamblin. Il rentrait à peine d’une très fatigante tournée ; il repart sans avoir pris aucun repos. À plusieurs reprises nous lui demandons s’il ne préfère pas que nous couchions en route, à la prochaine étape. Il fait signe que non, qu’il peut « tenir ». Et nous ne nous arrêtons que, vers minuit, le temps de dévorer un insuffisant petit poulet, arrosé de pinard sur une table vite dressée au milieu de la route, au clair de lune. Arrivons à Fort-Sibut à 3 heures du matin, fourbus. Trop fatigués pour dormir.
2 octobre.
Par une heureuse chance nous tombons à Sibut le jour du marché mensuel. Affluence des indigènes ; ilsapportent, dans de grands paniers, leur récolte de caoutchouc (de céaras, dont les récentes plantations, grâce à l’initiative de Lamblin, couvrent les régions en bordure des routes), sous forme des lanières jaunâtres, semblables à des nids d’hirondelles, ou à des algues séchées. Cinq commerçants, accourus en autos, attendent l’ouverture du marché. La région n’a pas été concédée ; le marché reste libre {16} et les enchères sont ouvertes. Nous sommes surpris de les voir s’arrêter aussitôt. Mais l’on ne tarde pas à comprendre que ces messieurs sont « de mèche ». L’un deux se porte acquéreur de la totalité de la récolte, à raison de sept francs cinquante le kilo ; ce qui peut paraître un prix fort raisonnable à l’indigène qui ne vendait le caoutchouc, récemment encore, que trois francs ; mais à Kinshassa, où les commerçants le revendent, les cours se maintiennent depuis quelque temps entre trente et quarante, ce qui laisse une jolie marge. Que vont donc faire ces messieurs ? Sitôt l’affaire conclue avec l’indigène, ils se réunissent à huis clos dans une petite salle, où commencent d’autres enchères, dont ne profitera pas l’indigène, dont ils sauront se partager entre eux le bénéfice. Et l’administrateur reste impuissant devant des enchères clandestines qui, pour paraître illicites, ne tombent pourtant pas sous le coup de la loi, paraît-il.
Ces petits commerçants, jeunes pour la plupart, n’ont souvent qu’une existence assez hasardeuse et précaire, sans magasins propres et, partant, sans frais généraux. Ils sont venus dans le pays avec l’idée bien arrêtée d’y faire fortune, et rapidement. Au grand dam de l’indigène et du pays, ils y arrivent.
De Fort-Sibut à Grimari, pays un peu monotone ; sur le bord de la route, plantations presque continues de céaras ; ceux de plus de quatre ans forment déjà de beaux ombrages ; ce n’est qu’à cet âge que l’on commence à les saigner à des périodes déterminées. Cette opération, qui les épuise assez vite, laisse le long du tronc de longues cicatrices obliques.
Parfois un petit cours d’eau coupe la plaine ; c’est alors, dans le vallonnement, un étroit rappel de forêt où règne une fraîcheur exquise. De très beaux papillons hantent les endroits ensoleillés des rives.
Bambari, 3 octobre.
Bambari est situé sur une élévation de terrain d’où l’on domine toute la contrée, par-delà la Ouaka qui coule à trois cents mètres du poste, et que nous avons traversée en bac hier soir. Ce matin, visites à l’école et au dispensaire. C’est le jour du marché mensuel. Nous nous y rendons, curieux de voir si ces messieurs d’hier y viendront et si le même scandale s’y reproduira. Mais aujourd’hui n’a lieu que la pesée ; à demain les enchères. Le caoutchouc se payait ici seize francs cinquante le mois dernier, nous dit-on.
Marché de Bambari. 5 octobre.
Les enchères montent à 18 francs pour un caoutchouc de qualité égale à celui que nous avons vu vendre 7 fr. 50 la veille. M. Brochet, représentant dela Compagnie du Kouango, important commerçant établi
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