Voyage au Congo
la dit hantée de singes de toutessortes ; en particulier quantité de gorilles énormes, que l’on chasse au filet. Les gens du village nous montrent ces filets robustes aux larges mailles, pendus aux portes de leurs cases. À l’entrée du village, un piège à panthères.
Brusque retournement de la crise du portage. On vient nous persuader que nous pourrons remonter l’Ekela en baleinière jusqu’à Bania, et que cela ne nous prendra pas plus de quatre jours.
7 novembre.
Deux indigènes viennent de tuer à coups de machettes un serpent d’un mètre cinquante de long, très gros proportionnellement à la longueur. Fâcheux que les coups de machettes aient endommagé la peau. Elle est très belle ; marquetée sur le dos, non de losanges, mais de rectangles très réguliers gris clair, encerclés de noir dans une parenthèse plus pâle ; variété de python que je n’ai revue nulle part ailleurs.
Nous avons à déjeuner le Docteur B… et un représentant de la Compagnie Wial, qui fait le commerce des peaux {47} . Tous deux reviennent de Bania. Le Docteur nous parle longuement de la Compagnie Forestière, qui trouve le moyen, nous dit-il, d’échapper aux sages règlements médicaux, éludant les visites sanitaires et se moquant des certificats pour tous les indigènes qu’elle recrute de village en village et dont elle forme les groupements « bakongos » à son service ; d’où propagation de la maladie du sommeil, incontrôlable {48} . Il considère que la Forestière ruine et dévaste le pays. Il a envoyé à ce sujet des rapports confidentiels adressés au Gouverneur, mais est convaincu que ceux-ci restent embouteillés à Carnot (dont, faute de personnel administratif, Nola dépend provisoirement), de sorte que le Gouverneur continue d’ignorer la situation.
Dans la nuit d’hier, une tornade avortée ; on étouffe ; on espère en vain une averse qui rafraîchisse un peu l’atmosphère. Le ciel est encombré. Quantité d’éclairs, mais dans des régions supérieures si reculées, que l’on n’entend aucun tonnerre ; ils éclairent de revers et dénoncent soudain de compliquées superpositions de nuages. Je me suis relevé, vers minuit, et reste longtemps assis devant la case dans la contemplation de ce spectacle admirable.
Deux nuits de suite, un grand singe (?) est venu danser sur notre case, faisant des bonds à crever la toiture.
On n’imagine rien de plus morne, de plus décoloré, de plus triste que les matinées de ciel gris sous les tropiques. Pas un rayon, pas un sourire du ciel avant le milieu du jour.
Dîné hier chez le Docteur B…, avec le représentant de la Compagnie Wial. Vers le milieu du repas, on entend sonner « la générale ». Serait-ce un incendie ? Ils sont fréquents dans ce pays où l’indigène met le feu à la brousse sans beaucoup de soucier des cases que la flamme pourrait atteindre. Grand bruit de voix qui se rapprochent. Et tout à coup fait irruption sous la véranda où nous sommes installés, le Portugais d’une factorerie voisine, où nous avions été acheter du tabac pour nos porteurs, dans la matinée. Il n’a pour tout costume que son pantalon. Avec une grande exaltation et comme hors de lui, il nous explique que les miliciens veulent lui « casser la gueule », parce que son cuisinier s’est emparé de la femme d’un garde, etc., etc. Le Docteur lui parle avec la plus grande fermeté, fort bien ma foi ; et le renvoie. Il se découvre, à l’examen, que la femme en question est précisément celle que le garde a enlevée à Yamorou et que le capita Boboli, qui nous accompagnait, avait mission de lui ramener. Ce dernier est reparti hier sans la femme, après qu’on lui eut dit que la femme et le garde avaient émigré à Carnot.
Ce matin nous faisons comparaître les délinquants. Le garde séducteur, un autre garde-interprète (celui de notre escorte) affligé d’un bégaiement incoercible, le cuisinier du Portugais, et la femme enfin, sa maîtresse depuis quatre jours. Celle-ci n’a pour vêtement qu’un petit paquet de feuilles maintenu par une ceinture de perles. Très Ève, « éternel féminin » ; elle est belle, si l’on accepte les seins tombants ; la ligne des hanches, du bassin et des jambes, d’une courbe très pure. Elle se tient devant nous, les bras levés prenant appui sur les bambous de la toiture qui abrite notre véranda.
Interminable interrogatoire. Tous les indigènes baragouinent le
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