Voyage au Congo
village. »
Katakouo est un énorme village de près d’un kilomètre de long. Une seule rue, si l’on peut appeler ainsi cette interminable place oblongue aux côtés de laquelle toutes les cases sont alignées.
Vers le soir, gagnant une petite rivière ombragée, je me suis baigné, me laissant glisser d’un grand tronc d’arbre mort dans un clair bassin au fond de sable blanc. Un petit écureuil est venu me regarder, semblable aux écureuils de nos pays, mais de pelage beaucoup plus sombre.
3 novembre.
Départ de Katakouo bien avant l’aube ; durant longtemps, nous cheminons dans la forêt, si obscure que, sans le guide qui nous précède, nous ne pourrions distinguer le sentier sinueux. Très lente venue du jour, un jour gris, terne, indiciblement triste. Monotonie de la forêt ; quelques futaies assez belles (mais beaucoup de troncs morts) au milieu des cultures de manioc – de nouveau non récolté, bien que nous ne soyons plus sur Boda. Je tâche d’interroger le chef d’un village où nous nous arrêtons, homme stupide (comme le chef du village précédent et du suivant) qui tend un livret où je lis de nouveau : « Chef incapable, n’a aucune autorité sur ces gens. » Cela se voit du reste. Impossible d’obtenir une réponse à ma question : « Pourquoi n’a-t-on pas récolté le manioc en temps voulu ? » En général, le « pourquoi » n’est pas compris des indigènes ; et même je doute si quelque mot équivalent existe dans la plupart de leurs idiomes. Déjà j’avais pu constater, au cours du procès à Brazzaville, qu’à la question : « Pourquoi ces gens ont-ils déserté leurs villages ? », il était invariablement répondu « comment, de quelle manière… ». Il semble que les cerveaux de ces gens soient incapables d’établir un rapport de cause à effet {45} ; (et ceci, j’ai pu le constater maintes fois dans la suite de ce voyage).
Danses de femmes à l’entrée de chaque village. Extrêmement pénible, le trémoussement éhonté des matrones sur le retour. Les plus vieilles sont toujours les plus frénétiques. Certaines se démènent comme des forcenées.
Un de nos porteurs est malade. Un comprimé Dower le soulage beaucoup ; mais il ne peut marcher ; on le porte dans un hamac ; Marc soigne le pied d’un autre. Nous n’avons pas du tout usé de nos tipoyes ; Outhman qui s’est coupé profondément le pied a occupé l’un d’eux assez longtemps. Rien à noter, sinon la descente vers la rivière, à la fin du jour (nous étions arrivés à Kongourou vers midi). Raté plusieurs coups de fusil, ce qui m’enlève beaucoup de mon assurance. D’avoir réussi mes premiers coups m’avait empli de superbe. Je ne visais déjà plus.
4 novembre.
Arrivés à Nola vers trois heures, ayant brûlé l’étape de Niémélé, et fait plus de 40 kilomètres dont une bonne trentaine à pied. La lune, au départ, était encore presque au zénith – « à midi » comme disait Adoum. – (Il n’était pas plus de 4 heures.) Rien de plus triste, de plus morne, que l’abstraite clarté grise qui la remplace. Matinée très brumeuse ; mais la steppe boisée, que l’on traverse durant des heures, doit une grâce passagère à l’abondance de grandes graminées très légères, que cette brume charge de rosée. Ces hautes herbes se penchent sur la route et mouillent le front, les bras nus du passant. Bientôt on est trempé comme par une averse. Abondance de traces sur la route sablonneuse (biches, sangliers, buffles), mais on ne voit aucun gibier. Le bruit, et sans doute le parfum, de notre escorte, fait tout fuir. Nous ratons quelques coups de fusil contre des oiseaux trop distants. Au passage d’une rivière, un peuple de cigales fait un vacarme assourdissant. Le milicien s’empare de la grande sagaie du petit boy qui nous accompagne depuis deux jours (avec son maître, le messager du chef Yamorou) – et cloue contre un tronc d’arbre un de ces insectes énormes, aux ailes tigrées, à reflets d’émeraude (les ailes de dessous sont pourprées). Hier au soir, nous étions arrivés à la nuit close dans le village où nous avons dû camper ; à trois kilomètres de Kongourou où se trouve le gîte d’étape, mais où venait de descendre un voyageur de commerce, raflant tout le manioc qu’on avait réservé pour nos porteurs. C’est ce que nous avions appris lorsque, ce même soir, désespérant d’attendre les rations promises,
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