Voyage au Congo
« entrée à Jérusalem ». Les femmes n’ont d’autre vêtement qu’une feuille (ou un chiffon) cache-sexe dont la tige, passant entre les fesses, rejoint par-derrière la ficelle qui sert de ceinture. Et certaines portent, par-derrière, un gros coussinet de feuilles fraîches, ou sèches, pas beaucoup plus ridicule après tout que le « pouf » ou tournure à la mode vers 1880. Mais, dans le dernier village où nous nous arrêtons, elles sont, en plus, toutes parées de lianes.
Un coureur parti de Bambio, nous a précédés de deux jours, pour annoncer notre arrivée. À l’entrée et à la sortie des villages, sur plusieurs centaines de mètres, parfois, (et parfois en pleine forêt ou en pleine brousse, on ne sait trop pourquoi) on a sarclé, coupé les herbes, et répandu du sable sur la route. Par endroits, à ras du sable, d’admirables fleurs mauves qui rappellent les cattléyas (et que j’avais déjà vues dans notre promenade en forêt aux environs d’Eala). Ne serait-ce pas elles qui donnent ces gros fruits couleur corail, de la forme d’une gousse d’ail, que l’on trouve, eux aussi, à ras du sol, et dont les indigènes mangent l’intérieur, une pulpe blanche au goût anisé. Tout auprès, la feuille, semblable à une petite palme, d’un mètre 50 environ. Ces fleurs se sont-elles ouvertesdepuis que l’on a nettoyé la route ? ou plutôt ne les a-t-on pas laissées intentionnellement ? J’aime à le croire et j’admire cette piste de sable, où l’on a tout ôté, sauf les fleurs.
À chaque arrêt dans un village, nous parlons au chef et le persuadons de ne laisser le caoutchouc que si la Compagnie Forestière consent à le payer 2 francs le kilo, comme elle le doit. Car il nous est dit qu’elle ne le paie souvent qu’un franc cinquante, qu’elle n’accepte de le payer deux francs qu’à partir du vingtième kilo. Et, de plus, nous voudrions persuader les indigènes d’apprendre à peser le caoutchouc eux-mêmes ; car ils ne connaissent que les mesures de volume (ils comptent par paniers) ce qui permet au représentant de la Forestière de les tromper sur le poids, pour peu qu’il ne soit pas honnête, et que l’administrateur ne soit pas là pour protester {44} .
Dès que nous sommes arrêtés, un tas d’hommes s’empressent pour en appeler à nous, nous soumettre des différends, se faire soigner, etc. Tel, flanqué de son frère et de sa sœur, nous demande de faire payer un voisin qui a couché avec sa femme enceinte de trois mois, ce qui, dit-il, a fait avorter la femme. Il demande 50 francs d’indemnité pour la mort de l’enfant, etc.
2 novembre.
Il est plus de midi quand nous arrivons à Katakouo ; partis de Dokundja-Bita à 5 heures, nous avons marché sans arrêt durant 7 heures, dont 1/2 heure en tipoye. Un seul très beau passage de rivière, sur des tiges reliées par des lianes ; une petite liane couverte de fourmis sert de rampe. Partout ailleurs, monotonecontrée ; steppe de graminées hautes, semée de petits arbres semblables à des chênes-lièges, parfois en lisière de forêt, et sans doute longeant le cours caché d’une rivière.
Énormes champs de manioc non récolté formant taillis ; et plus loin des champs de ricin également non récolté, tous les hommes étant au caoutchouc, ou en prison, ou morts, ou en fuite. Après avoir quitté le dernier village de cette maudite subdivision de Boda, un énorme gaillard, qui nous accompagnait depuis l’entrée du précédent village, qui marchait près de moi, la main dans la main (je croyais avoir affaire à un chef), déclare soudain qu’il ne veut plus retourner en arrière, rentrer dans son village et continuer plus longtemps à faire du caoutchouc. Il prétend ne plus nous quitter. Mais son frère (du même père et de la même mère, dit-il avec insistance, car dans ce pays on appelle bien souvent « frère » un simple ami) qui est capita, s’efforce de s’opposer à ce départ. Long palabre. « C’est sur lui que ça va retomber. C’est lui qu’on va f… en prison, etc. » Un matabiche le calme et le décide à s’en retourner seul.
Katakouo (Katapo sur certaines cartes). On reconnaît qu’on n’est plus dans la subdivision de Boda, à ceci qu’on revoit des hommes. Le chef du village s’empresse de nous présenter son livret, sur lequel nous lisons : « Chef incapable ; sans aucune énergie ; ne peut être remplacé ; pas d’indigène supérieur dans le
Weitere Kostenlose Bücher