Voyage au Congo
nous avions été retrouver le chef de Kongourou, nous collant ainsi 6 kilomètres supplémentaires. Ce chef était venu nous saluer ; vêtu à l’arabe ; extrêmement sympathique ; il nous explique qu’il n’a pu faire autrement que de servir d’abord les premiers arrivés, ce que nous admettons sans peine ; mais nos porteurs ont besoin de manger. À force de courir de case en case, armés de torches, nous parvenons, aidés du chef, à réunir une quantité de manioc suffisante, et nous rentrons exténués.
Quelques kilomètres avant d’arriver à Nola, le sentier, sortant de la forêt épaisse, débouche brusquement sur l’Ekéla (qui devient plus loin la Sangha). Nous quittons un instant nos tipoyes et nous nous asseyons sur un tronc de rônier, à l’ombre d’une case, dans le petit village de pêcheurs construit sur le bord de la rivière, à regarder danser six pauvres femmes ; par politesse, car elles sont vieilles et hideuses. Encore trois kilomètres de sentier dans la steppe et dans lescultures de bananiers et de quelques cacaoyers ; puis on arrive en face de l’étrange Nola, dont on aperçoit quelques toits, de l’autre côté du fleuve que nous traversons en pirogue. Nous touchons au but. Il était temps. Nous sommes recrus de fatigue, tous. Mais somme toute aucun accroc sérieux, durant ces cinq jours de marche. (Hier, par prudence, nous avions recruté cinq tipoyeurs de renfort, car les nôtres font pitié.)
Le capita prêté par le chef Yamorou (de Bambio) pour nous montrer la route, avait mission de lui ramener de Nola une de ses femmes qu’un milicien avait enlevée. Arrivés à Nola, nous apprenons que le milicien et la femme sont partis la veille pour Carnot.
CHAPITRE V – De Nola à Bosoum
5 novembre.
Crise du portage. Nos porteurs veulent tous repartir ; du moins les soixante recrutés par l’administration. On a apporté pour eux, hier, une grande quantité de bananes, mais très peu de manioc, ce qui cause un grand mécontentement. L’Administration paie 1 fr. 25 par journée d’homme avec charge, et 75 centimes l’homme non chargé ; mais souvent, la somme est remise globalement au chef, de sorte qu’il arrive que les intéressés ne touchent rien. C’est, affirment nos porteurs, ce qui va se passer. Nous voici fort embarrassés, car, dans l’absence de tout représentant de l’autorité française, il est extrêmement difficile de trouver ici des remplaçants ; et d’autre part il nous paraît inhumain d’emmener ces gens beaucoup trop loin de leurs villages. Nous pensions d’abord pouvoir remonter la rivière en pirogue jusqu’à Nola, mais l’Ekela, grossie par les pluies, coule à pleines eaux et n’est plus navigable qu’à la descente ; les rapides sont dangereux. Force sera de revenir sur nos pas jusqu’à Kongourou et de gagner Nola par la rive gauche, car, nous dit-on, l’autre route est abandonnée. Dès qu’uneroute n’est pas entretenue, la végétation qui l’envahit la rend à peu près impraticable.
Nos porteurs, à l’aide d’une très longue baguette de bambou, dont l’extrémité est fendue en fourche, s’emparent avec une grande habileté des nids des « mouches-maçonnes » suspendus aux poutrelles de la toiture qui abrite notre véranda ; ce sont de petites colonies d’une vingtaine d’alvéoles ; les larves, ou les chrysalides lorsqu’elles sont encore d’un blanc de lait, sont, nous disent nos gens, délectables. Nous les avons vus également se jeter sur les termites ailés qu’attire par essaims notre lampe-phare, et les croquer aussitôt sans même les plumer de leurs énormes ailes.
6 novembre.
Difficulté de trouver du manioc pour nos gens. On finit par en apporter ; mais il n’est pas pilé ; les porteurs boudent. Pour permettre le recrutement d’un nouveau contingent, nous décidons de ne partir qu’après-demain. Toutefois nous n’osons congédier déjà ceux-ci, qui cependant se démoralisent et s’encouragent à l’insoumission.
Vers le soir nous traversons l’Ekela en pirogue. Visite à l’établissement de la Forestière que dirigent deux très sympathiques et tout jeunes agents. Ils paraissent honnêtes {46} . Nous achetons diverses fournitures à leurs « magasins », puis gagnons un grand village au bord du fleuve, à l’endroit où la Kadei rejoint l’Ekela pour former la Sanga. En face du village, un mont aux pentes brusques, couvertes d’une forêt épaisse. On
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