Voyage au Congo
où nous nous arrêtons ce soir {64} , seconde étape sur la route de Bosoum, est sans autre beauté que celle qu’y verse à flots la lumière. Comme de coutume je choisis, dans le cortège formé pour fêter notre entrée dans le village, un préféré sur lequel je m’appuie, ou qui marche à mon côté en me donnant la main. Il se trouve souvent que c’est le fils du chef, ce qui est d’un excellent effet. Celui-ci est particulièrement beau, svelte, élégant et fait penser à la Sisina de Baudelaire. Ce soir, avec deux compagnons, il me fait savoir que tous trois veulent nous accompagner jusqu’à Bosoum.
Quel bain délicieux j’ai pris à midi, et dans quelle limpide rivière ! Que la nuit est claire ce soir ! Je ne sais même pas le nom de ce village où nous gîtons. Cette route que nous suivons est des moins fréquentées (par les blancs, s’entend). Un immense inconnu nous enveloppe de toutes parts.
Tandis que je relis avec ravissement Romeo and July, Marc soigne des plaies, distribue des remèdes, puis « rend la justice », ce qui prend un temps infini.
6 décembre.
Arrêt à Batara. Aux abords de l’important village, où nous arrivons vers onze heures, de jeunes plantations de céaras nous annoncent que nous sommes rentrés sur le territoire de Lamblin – subdivision de Bosoum.
Après avoir circulé longtemps dans le sauvage, le larvaire, l’inexistant, joie de retrouver un village net, propre, d’apparence prospère ; un chef décent, en vêtements européens point ridicules, en casque blanchi à neuf, parlant correctement le français ; un drapeau hissé en notre honneur ; et tout cela m’émeut jusqu’à l’absurde, jusqu’au sanglot.
Tourmentés par l’idée que nous n’avons pas été généreux suffisamment envers le chef de village, à notre dernière étape. Nous lui faisons porter deux billets de cent sous dans une enveloppe, par un coureur de Batara. Son air consterné en recevant ce matin six francs de matabiche, m’était resté sur le cœur. L’absence de prix des denrées, l’impossibilité de savoir si l’on paye bien, ou trop, ou trop peu, les services rendus, est bien une des plus grandes gênes d’un voyage dans ce pays, où rien n’a de valeur établie, où la langue n’a pas de mot pour le merci, où, etc.
8 décembre.
Arrivés hier soir à Bosoum où nous retrouvons la route automobilisable. Là s’achève ce long chapitre de notre voyage. C’est ici que l’auto de Lamblin doit nous rejoindre, pour nous mener à Archambault. De Carnot, il y a trois semaines, nous avons écrit au Gouverneur, sur sa demande, pour l’aviser de la date de notre arrivée à Bosoum ; nous sommes en avance d’un jour. Nous devions faire ce dernier trajet en deux étapes ; mais, partis de Batara dès quatre heures du matin, nous arrivions dès une heure à Kuigoré, et décidions d’en repartir vers trois heures, ayant encore le temps de franchir avant la nuit les vingt kilomètres qui nous séparaient du but. Descendus de tipoye, nous avons fait une partie de cette route au demi-trot, emportés par l’impatience. Tout le matin, paysage d’une intense monotonie. Clématites en graine – renoncules ou adonides (avant floraison) et pivoines en bouton (comme auprès d’Andrinople). À partir de Kuigoré, très belles roches de granit, et même formant de grands soulèvements parfois analogues à ceux de la forêt de Fontainebleau. Chaque fois que le paysage se forme, se limite et tente de s’organiser un peu, il évoque en mon esprit quelque coin de France ; mais le paysage de France est toujours mieux construit, mieux dessiné et d’une plus particulière élégance. C’est ainsi que le passage d’une rivière, peu avant Kuigoré, puis la fuite de l’eau sous des grands arbres, les roches qui déchirent son cours, la route qui suit un instant le bord de l’eau, tout cela nous faisait dire avec ravissement, en riant : on se croirait en France !
L’arrivée à Bosoum est très belle. Yves Morel, le chef de la subdivision, nous attendait. N’écoutant pas ce qu’on lui dit, il répète six fois de suite les mêmes choses – mais pourtant point sot, d’un jugement souvent assez exact, me semble-t-il, et disant, encore qu’avec trop de lenteur, des choses fort intéressantes.
Dans une des Revues de Paris qu’il nous prête (avec force journaux de toutes couleurs) un article (1 er août), où Souday, avec désinvolture, exécute
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