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Voyage au Congo

Titel: Voyage au Congo Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Gide
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sitôt que le soleil est couché, le concert des criquets commence. Au crépuscule, j’ai vu voler presque au-dessus de notre case un stupéfiant oiseau. Un peu plus gros qu’un merle ; deux plumes, extraordinairement prolongées, forment de chaque côté comme une sorte de balancier, sur lequel il semble prendre appui dans l’air pour des acrobaties d’aviateur.
    Un peu plus tard, à la nuit close, j’accompagne Marc jusqu’au petit village d’où il revient ; très misérables huttes ; un groupement, derrière un amoncellement d’énormes blocs de grès, à la lueur des feux, prend un aspect préhistorique.
    Bossa, 18 décembre.
     
    Étape de 25 kilomètres (comme celle d’hier) mais, partis à 5 heures 1/2, nous n’y arrivons que vers une heure, par suite d’un arrêt prolongé sur la route. Depuis Bosoum les tipoyeurs ne chantent plus. Les arbres de la savane s’espacent ; et même cèdent complètement à de grands espaces découverts. Et ce ne sont plus alors des arbustes de la taille de nos arbres fruitiers, mais de beaux arbres aussi hauts que les plus hauts d’Europe, sans atteindre la taille des géants de la grande forêt. Je voudrais voir ces vastes prés au printemps, quand les herbes sont peu hautes et d’un vert tendre ; mais je doute si, peut-être, au-dessus de l’herbe nouvelle ne subsiste pas l’encombrement affreux des chaumes que n’a pu que noircir sans les consumer l’incendie. D’immenses espaces brûlés ; désolation plus atroce peut-être que celle d’aucun hiver. Les arbres ne sont pas dépouillés ; mais toutes les feuilles ont pris une monotone couleur bronzée qui forme avec le noir du sol, sous le soleil ardent, une implacable et morne harmonie. Il semble que sur ce sol calciné aucune vie ne pourra jamais reparaître, et le vert très tendre du gazon qui surgit entre les chaumes noirs, déjà trois jours après l’incendie, semble presque une fausse note. On dirait un confident indiscret qui compromet l’effet du drame en livrant trop vite un secret susceptible de rassurer le spectateur alarmé.
    Ce qui nous a retardés, c’est la rencontre, une heure après le lever du soleil, d’une troupe de prisonniers emmenés par le capita d’un village voisin. Ils étaient onze, la corde au cou – une corde, qui n’était en vérité qu’une ficelle, qui les tenait tous reliés, leur aspect était si misérable que le cœur se serrait de pitié à les voir. Chacun d’eux portait une charge de manioc sur la tête, lourde assurément, mais non excessive pour un homme en bonne santé ; mais ils semblaient à peine en état de se porter eux-mêmes. Un seul d’entre eux ne portait rien ; un petit de dix à douze ans, affreusement maigre, excédé de misère, de jeûne et de fatigue ; par instants il tremblait de tous ses membres, et la peau de son ventre était agitée de frémissements spasmodiques. Le dessus de sa tête était comme râpé, le cuir chevelu remplacé, par zones, par cette sorte de peau qui se forme sur les blessures ou sur les surfaces du corps échaudées. Il semblait incapable à tout jamais de sourire. Et tous ses compagnons de misère, du reste, étaient si lamentables qu’à peine retrouvait-on une lueur d’intelligence en leurs yeux. Tout en interrogeant le capita, nous vidons dans les mains de l’enfant le contenu de notre musette, où ne se trouvent, par mauvaise chance, que trois morceaux de pain très sec. Dans la certitude d’arriver tôt à l’étape, nous avons laissé partir de l’avant nos porteurs, sans nous être munis de provisions de route. L’enfant dévore ces croûtons comme une bête, sans un mot, sans même un regard de reconnaissance. Ses compagnons, pour être moins faibles, ne semblent pas moinsaffamés que lui. D’après les interrogatoires que nous leur faisons subir, il semblerait qu’ils n’ont pas mangé depuis cinq jours. Ce sont, au dire du capita, des fuyards qui vivaient depuis trois mois dans la brousse, où je les imagine comme des animaux traqués. Mais les récits sont contradictoires et quand, ensuite, nous interrogeons Koté, le chef du village voisin qui donna l’ordre de s’emparer d’eux, puis, le soir, ceux du village d’où ils viennent et où nous campons pour la nuit, on doute s’ils étaient partis dans la brousse pour garder des chèvres qui, dans le village, tombaient malades, ou pour fuir le mauvais sort qui avait fait périr plusieurs de leurs enfants, ou pour « faire des

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